Après la sortie de son deuxième album, le groupe allemand Nena a le vent en poupe. Il cartonne dans les charts, sans pitié pour les autres artistes, et engrange de l'argent grâce à 99 Luftballons qui est d'ailleurs un beau succès international. L'international, justement ! Après l'Allemagne, le monde ? Ce serait un beau projet pour sûr, et pourquoi pas devenir le premier groupe germanophone à dominer les charts mondiaux (américains, donc) ? La route est quand même longue, et beaucoup se sont brûlés les ailes à ce jeu.

Alors au début, CBS voit plus petit avec 99 Luftballons, nom donné à la compilation destinée aux marchés étrangers. Tellement destinée aux Français, par exemple, qu'elle est vendue quand même en Allemagne où elle atteint mine de rien la 23e place au classement... un signe que l'effet Nena n'est (a priori) pas prêt de s'arrêter, et aussi l'aveuglement des fans. Car il faut dire ce qui est, 99 Luftballons (la compile, donc), c'est un peu la grande baise. Le concept est assez fumeux, car consistant à rassembler sur la face A les versions anglaises de certaines chansons de Nena ! Vue la nature des chansons pop originales et arborant un chant unique, c'est vraiment ce qu'on peut appeler une opération casse-gueule.

Globalement, pourtant, les choses ne sont pas si mal puisqu'au lieu de traduire systématiquement et bêtement, les paroliers engagés pour 99 Luftballons arrivent à garder le sens global, préservant ainsi de la syncope les accros aux paroles. Et côté musique ? Ben, en dehors de "99 Red Balloons", elle reste totalement identique, à une Nena près. Là, c'est pas le drame, mais quand même, la sensation de plénitude pop en prend un coup. Un auditeur non-germanophone est si marqué par le choc d'entendre une performance « originale » avec Nena que repasser en terrain connu lui fait comprendre sur le coup que non, Nena n'est pas un groupe génial aux accents originaux, mais juste un groupe pop de plus. Un groupe aux plumes certes douées, mais un groupe pop de plus. Évidemment, ce n'est pas le cas en vérité, mais la transition est assez brutale, il faut le dire. D'un autre côté, pour être franc, "Hangin' on You" n'est pas folichonne dans la langue de Shakespeare, et "99 Red Balloons" ne fait guère mieux – sans compter que tout le monde a encore l'originale bien ancrée en tête. Et fatalement, le groupe n'a pas réussi à percer avec ces chansons réinterprétées.

99 Luftballons est donc à envisager comme une carte de visite de Nena, et cela se voit encore plus avec la face B, contenant des chansons chantées en allemand. Sans surprise, on retrouve les singles "Leuchtturm" et "Rette mich", des chansons évidemment qualitatives et assez représentatives de la musique du groupe. Mais il faut bien avouer qu'il est plus surprenant de trouver "Das Land der Elefanten", car interprétée par le claviériste Fahrenkrog, mais on ne va pas cracher sur l'occasion d'exposer une facette plus méconnue de Nena, non ? Par contre, la chanson "99 Luftballons" en fin de disque... serait-ce en fait sarcastique, pour souligner le fait que Nena ne passe très bien qu'en allemand ? Ensuite, si les chansons de la face A étaient en VO, nul doute que la sélection serait quand même bien pertinente, sans compter l'agencement qui passe bien ici.

Mais globalement, est-ce que ça vaut le coup de se ruer sur cette compile, en dehors de l'imparable argument « allez, pour la collec' » ? Pas vraiment, non. Les chansons en anglais la disqualifient amplement, mais d'un autre côté, elle reste relativement pertinente et ne se contente pas d'aligner les singles. A choisir, mieux vaut se pencher sur Die Band (1991).