Accéder à la notoriété et les comptes en banque pas mal remplis dès le premier album, c'est un rêve pour beaucoup de musiciens, mais qui ne s'accomplira jamais pour beaucoup d'entre eux, les forçant à (tenter de) forcer le destin – même des géants comme Scorpions ont eu des débuts discographiques laborieux. Ce n'est pas forcément une question de talent, mais de bon timing, de campagne marketing bien préparée ou non, de chance...

Dans le cas de Nena, les trois étaient réunis en 1983. Le groupe de NDW mené par la chanteuse éponyme a réussi à capter son public avec "Nur geträumt" et "Leuchtturm", mais c'est avec "99 Luftballons" que le jackpot a été décroché. Inutile de s'appesantir sur les chiffres de ventes ou les places dans les charts internationaux, tout cela c'est du folklore. En revanche, il est désormais convenu que Nena est attendu au tournant. Est-ce que le quatuor fera mieux ? Est-ce qu'il pondra de nouveaux de gros hits ou bien sera-t-il un énième one hit wonder ?

La réponse arrive très vite en 1984, avec ?, ou Fragezeichen pour qui n'aime pas les titres d'album monocaractères. Pas de suspense, le succès des singles promotionnels est moindre. "99 Luftballons" est le tube définitif de Nena, et rien ni personne ne pourra le contester. En revanche, ? parvient à être digne du rang de son prédécesseur en atteignant le sommet des charts allemands et autrichiens, sans trop de soucis. Sans être évident, ce n'est pas compliqué à comprendre en écoutant l'album. ? est bourré de morceaux qui s'éloignent certes de la NDW, mais deviennent en contrepartie de solides chansons pop qui méritent amplement qu'on s'y attarde.

Rien que les singles le démontrent. "Rette mich", qui ouvre l'album, est encore bien proche de ce que Nena faisait sur l'opus de 1983, avec plus de consistance et autant d'entrain dans la musique. La chanson-titre est un mid-tempo certes convenue, mais rien que la voix de Nena la rend agréable belle à entendre. En revanche, "Lass mich dein Pirat sein" n'est pas très gouleyante, et a en plus le défaut de s'éterniser sur 5 minutes. Mais je suppose qu'elle peut plus parler aux amoureux et romantiques... Dès lors, il paraît compréhensible que le public ait été légèrement (légèrement !) plus frileux pour l'album.

Et pourtant, ne pas écouter ?, c'est passer à côté de chansons qui font encore partie du meilleur de Nena. "Sois bienvenu", par exemple, en voilà un missile pop à l'instrumentation originale et au rythme entrainant, sur des paroles pas connes chantées par une Nena en forme. Les claviers de Fahrenkrog apportent également une touche nocturne de bon goût qui, alliés aux percussions de Rolf Brendel, apportent une instrumentation de choix sur "Unerkannt durchs Märchenland". "Ich hung an dir" ressemble un peu à la chanson-titre, mais est meilleure de par une utilisation de claviers plus pertinente, sans compter la guitare de Carlo Karges qui marque le pas. Côté curiosité, il paraît difficile de passer à côté de "Das Land der Elefanten", la seule chanson interprétée par quelqu'un d'autre que Nena, à savoir le claviériste Fahrenkrog. Le chant n'est pas particulièrement marquant, au contraire de la musique, qui voit le groupe replonger dans « l'exercice ethnique » après Indianer – et Karges tente d'imiter le barissement de l'éléphant, mais n'est pas Adrian Belew qui veut.

Malgré quelques couacs qui laissent sceptiques ("Küss mich wach", "Der Anfang vom Ende"), ? est un très bon album de Nena, qui montre le groupe évoluer et développer une musique décidément de qualité et capable de saisir l'auditeur en plein cœur. Reste à voir ensuite si le quatuor a toujours de quoi convaincre pleinement son public une troisième fois.

Note réelle : 3,5/5