Il y a des disques live importants dans l'histoire de la musique, mais pas tant que cela dans des lieux chargés d'histoire, uniques. PINK FLOYD à Pompéi en 1972, GRATEFUL DEAD millésimé 1978 devant les pyramides de Gizeh en Egypte, DIRE STRAITS en 1992 (pour la partie aux Arènes de Nîmes), Loreena McKENNITT à l'Alhambra en 2006... On peut désormais ajouter, pour nous en France – mais les anglo-saxons ne sont pas dispensés de nous renvoyer la balle et écouter aussi -, Laurent VOULZY au Mont Saint-Michel. Parce que ce disque est un bonheur absolu et, en même temps, ce qui (me) manque cruellement dans la musique la plus médiatisée de nos jours.

Il y a le cadre, absolument magnifique et on s'en tiendra là car les mots ne suffisent pas. Le lieu sacré, bordé d'une mer qui veut bien nous laisser y parvenir, est montré par de sublimes images prises en vol, à toutes heures de la journée. Ensuite, brièvement, VOULZY nous décrit l'émotion que lui transmet ce lieu, le bonheur et la chance qu'il a de pouvoir jouer dans l'Abbaye ; il est vrai que peu de synthétiseurs, peu de guitares électriques ont dû connaître cela également. Pour dire que ce disque a beau être un double CD et simple DVD, c'est clairement le DVD qui prévaut : les vues extérieures qui reviennent au cours du concert, les lumières fantastiques de John Artonne Vacheron et Simon Aznar qui dessinent des motifs celtiques sur les piliers de l'Abbaye...

Laurent VOULZY est, depuis longtemps, Breton de coeur. Ami d'Alan STIVELL, il a, sur le modèle de ce dernier, comme Dan AR BRAZ et d'autres, compris ce que le rock et la pop contiennent d'influences celtiques. Il a composé "Le Bagad de Lann-Bihoué" pour son frère Alain SOUCHON, a parsemé ces mêmes influences sur pratiquement tous ses albums à lui ou en collaboration depuis Caché Derrière, chef d'oeuvre de 1992. Plus qu'aucun autre artiste variété, il le méritait, ce concert. Même si le Mont Saint-Michel est, d'avis de maître d'oeuvre et d'architecte, total normand, le débat n'a pas lieu ici, surtout que dès sa première intervention au public déjà conquis, VOULZY remercie les amis "de Bretagne, de Normandie (et des autres pays extérieurs)".

Contrairement à la tournée 2015 commune avec SOUCHON, Michel Amsellem est seul maître arrangeur de ce récital merveilleux, intimiste pour une bonne partie et par la seule force de trois musiciens. Passée l'intro aux synthétiseurs, le premier titre est "Caché derrière", pas de hasard, et une superbe version d'abord mystique, wow... Galvanisé par la présence d'Elsa Fourlon, chanteuse-guitariste et harpiste sur la tournée avec SOUCHON, notre cher VOULZY fait appel à la splendide Naomi Greene, princesse-fée qui illumine davantage le spectacle (même avec un Vocodeur inespéré sur "Jeanne", il m'a fallu du temps pour m'y faire). Le chanteur, muni de sa guita-lyre dès le départ, plus que bien secondé par Greene à l'électrique sur "Belem", ne tarde pas à rendre hommage à ses années de collaboration avec SOUCHON, tout en profitant qu'il ne soit pas là.

Le public, complice, se retrouve à chanter "Rame", "Bidon", "Rockollection" lors de courtes interactions (mais ça, on ne le sait pas si on se contente d'écouter le CD !). Il doit être bien surpris d'entendre "Jésus" dans un tel lieu, moment de risque et d'apesanteur, un peu comme "American Skin (41 Shots)" de Bruce SPRINGSTEEN à New York en 2000... Puis le spectacle continue comme si de rien n'était. Allant plus loin dans le sacré, il y a une reprise celtique et magique du traditionnel "Amazing Grace", un "Liebe" plus baroque que jamais grâce au bon vouloir d'Amsellem, à l'orgue de l'église joué par Mathieu Besnard. Deux titres auxquels le choeur Kalon Maouez participe, faisant naître quelques frissons de plus. Et puis il y a la couleur plus religieuse de "Paradoxal Système", il y a le pipe-band, les cornemuses résonnant au plus près des cieux...

Musicalement comme visuellement, c'est à couper le souffle. Même les moments de transition, dont Amsellem (plages planantes) et Greene ("Over the Hills", seule à la harpe) sont responsables. Même les moments galants, comme "Jeanne" et "Ma seule amour", fleurs éclatantes de Lys & Love ; les autres surprises comme "Une héroïne" (rareté de l'album Avril), "My Sweet Lord" de George HARRISON et "Scarborough Fair", très intense à son tour – VOULZY, pour le coup, prend la voix de Paul SIMON à la place de SOUCHON, comme sur "The 59th Street Bridge Song (Feelin' Groovy)". Même les moments de fraîcheur, comme ces grandioses "Rêve du Pêcheur", "Pouvoir des Fleurs"...

On peut dire que VOULZY chante comme un ange en ce lieu privilégié, qu'il déconne bien et autant qu'il nous émeut, qu'il est heureux de pouvoir faire résonner une vraie harpe bardique sur "Paradoxal système" comme sur "Caché derrière", que sa science du choeur féminin est dignement respectée (à une tentative de Vocoder près), que les claviers sont majestueux, les quelques sons électro bienvenus ; que les mélodies sont belles, évidentes comme plus recherchées ; que le cadre vaut plus que le détour, il appelle le retour... Que c'est un cadeau magnifique à la musique française, qu'il lui apporte ce charme précieux, déjà présent sur les disques mais avec les images et bien plus que cela, d'un point de vue esthétique. Et que comme dans toute chose meilleure en ce monde, il y a beaucoup de Bretagne, de Basse-Normandie et (au moins un peu) de Provence – ben oui, avec "La Baie des Fourmis".