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VARIÉTÉ FRANÇAISE  |  STUDIO

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Pierre BACHELET - Bachelet (1985)
Par AIGLE BLANC le 25 Janvier 2020          Consultée 2365 fois

Le cinquième album studio de Pierre BACHELET est difficile à identifier pour le néophyte : en effet, il poursuit la fâcheuse habitude de certains artistes de Variété française d'intituler chacun de leurs opus par leur patronyme. Si d'aucuns y lisent un acte de sobriété, il n'en devient pas moins hasardeux d'essayer de les distinguer les uns des autres quand seule entre en jeu leur date de publication. La confusion s'accroît dès lors que ce cinquième opus se voit lui-même doublé la même année où paraissent séparément deux disques proposant deux programmes bien distincts. Par souci de clarté, on nomme le premier par le titre de son tube "Marionnettiste", tandis que le second, sorti plus tard en 1985, porte généralement le nom de son autre succès "En l'an 2001". Pourquoi publier ces deux disques séparément quand, incontestablement, ils relèvent des mêmes sessions d'enregistrements? Est-ce à cause du risque que représente commercialement la sortie d'un double-album? Pourtant, leurs pochettes ne trompent pas : il s'agit dans les deux cas d'un portrait du chanteur photographié dans son appartement, la première le montrant dans son salon, la deuxième dans sa véranda. Mais un même procédé photographique de composition rapproche ces deux pochettes. En effet, les deux portraits sont constitués d'un agencement de plusieurs clichés qui, dans une forme de collage assez novateur à l'époque, reconstituent l'appartement du chanteur à partir d'une multitude d'angles de prise de vue. On obtient ainsi un portrait baroque ou cubique à la manière de Picasso.
La situation devient d'autant plus insensée quand paraît la même année une version générique de cet opus divisé qui logiquement compile l'intégralité des titres des deux galettes, conférant enfin à l'ensemble son vrai statut de double-album. Et pour ne rien arranger, cette version synthétique, intitulée simplement BACHELET, ajoute encore de la confusion à la confusion. Imaginez-vous la tête du client quand il s'est vu confronté à trois reprises à la sortie du même opus, dans sa version tronquée ou bien complète.
La présente chronique s'appuie sur la version complète, la seule légitime au regard de votre serviteur, même si sa pochette, malheureusement, ne vaut pas les deux autres.

Rares sont les double-albums de l'histoire de la musique populaire à convaincre sur la durée et celui qui donne lieu à ces lignes ne fait pas exception à la règle. L'évaluation change du tout au tout selon que l'on se penche sur la première galette ou la seconde. Le premier disque concentre en effet une collection de chansons remarquables qui prouve si besoin est le degré de réussite que peut atteindre le duo Pierre Bachelet (musique)/Jean-Pierre Lang (paroles), déjà perceptible lors des deux précédents efforts studio de 1982 et 1983. L'osmose entre les deux hommes est telle qu'on ne sait qui des deux galvanise l'autre, les paroles de Jean-Pierre Lang se moulant à la perfection aux mélodies simples et efficaces du chanteur dans une greffe invisible génératrice d'une rare cohérence. Et c'est bien le premier disque ici qui stigmatise le mieux cette belle collaboration. Lang ne se contente pas de plaquer ses textes sur la musique de son ami, il offre une pensée intérieure à la personnalité de BACHELET qui peut dès lors s'y appuyer pour y faire vibrer sa voix au timbre si attachant.

Le duo n'est jamais aussi à son aise que lorsqu'il s'agit de conférer une ampleur cinématographique à des chansons qui n'aiment rien tant que raconter une tranche de vie ou évoquer une époque, une communauté singulière. C'est ainsi le cas de l'excellente "Le No Man's Land" qui, par une habile construction dramatique procédant par dévoilement successif à la manière du "Dormeur du Val" d'Arthur Rimbaud (une sorte de zoom avant qui part de l'universel jusqu'à se concentrer sur l'intime), raconte pendant la guerre la fuite d'un homme en quête de liberté, et au terme de laquelle il est fusillé à la frontière. Pour traduire le désir de liberté, Jean-Pierre Lang délivre une description subjective de la nature au fil du parcours du résistant que l'imminence de la mort rend sensible au paysage. La musique de Pierre BACHELET parachève ce récit poignant et héroïque par la belle intensité de ses couplets et la couleur bucolique de son refrain.
"Les petites gens" retrouvant la veine des "Corons" évoque avec bonheur les origines paysannes du chanteur que le parolier fait revivre avec pudeur et sincérité par la force de mots simples mais ô combien judicieusement agencés. BACHELET tisse sur ces mots une musique sobre lors des couplets tandis qu'il réserve au refrain le charme d'une kermesse que fait tournoyer un accordéon nostalgique.
Musique populaire oblige, Pierre BACHELET et Jean-Pierre Lang aiment aussi à faire vibrer la corde sentimentale de l'auditeur, ce qu'ils réussissent fort bien quand ils font l'effort d'aborder cette thématique traditionnelle sous un angle original. Il en va ainsi de "Marionnettiste", réponse convaincante au fulgurant "Elle est d'ailleurs", qui ausculte jusqu'au vertige les conséquences d'un coup de foudre non partagé. Le texte prend le parti de suivre pas à pas le protagoniste principal, totalement désorienté par un coup de foudre qui lui fait accomplir comme un automate les gestes du quotidien. Ce qui pourrait sembler dérisoirement banal, jusque dans la transcription de phrases dépourvues de charisme, devient d'une vive pertinence dès lors qu'appliqué à la description d'un coup de foudre. Le refrain épouse le regard de dieu qui observe sa créature comme le marionnettiste son pantin. Pierre BACHELET réussit aussi bien les couplets haletants, au bord de l'asphyxie, que le refrain à l'ampleur solennelle. A noter le beau travail de l'accordéon qui reproduit l'automatisme du pantin dans une ambiance proche d'une kermesse ironique. Incontestablement une grande chanson.
Plus traditionnelle dans le traitement du thème amoureux, "Mais chez elle" bénéficie surtout d'une solide construction qui redonne tout son sens à la dichotomie couplets/refrain. Quand les couplets décrivent l'appartement négligé du protagoniste solitaire, le refrain expose quant à lui, superbe antithèse, l'appartement harmonieux et réconfortant de celle dont il est amoureux. En revanche, "La fille solitaire", en dépit d'une très belle mélodie, souffre de paroles plus convenues.

Le duo se montre infiniment moins convaincant dans les chansons aux allures de fables qui veulent prendre de la hauteur au point de perdre le lien à l'intime qui leur réussit pourtant si bien. Si "Vivre" s'en tire correctement grâce encore à une habile exploitation de la dichotomie couplets/refrain qui oppose ceux qui brûlent leur vie dans les plaisirs futiles et ceux qui savent prendre le temps de vivre, en revanche "Mais j'espère" échoue sur toute la ligne tant du point de vue des paroles qui, nonobstant leur désir d'élévation, ne font que reproduire le discours abscons d'une certaine sagesse populaire que de la musique dont le refrain se vautre dans la pire des rengaines. Il s'agit ici de faire résonner la complainte dépressive de l'homme moderne que démoralisent les horreurs du monde, topos entendu jusqu'à l'écoeurement. Le refrain en revanche se laisse gagner par l'espoir d'une vie meilleure, qui perdure coûte que coûte malgré tout. Cela donne une chanson naïve, au sujet trop facile, et écrite hâtivement sans le recul suffisant de la réflexion.

Si cette galette n'était pas suivie d'une autre, l'album se hisserait largement au niveau d'un 4 solide, mais le deuxième volet concentre malheureusement du duo ses chansons les plus anecdotiques, celles où, comme abandonnant toute l'ambition dont il se montre capable par ailleurs, il se laisse gagner par la facilité et surtout par les bons sentiments avec, parfois, la désagréable impression d'être un rien donneur de leçon. Ce sont ici les chansons d'amour qui dominent, hélas dans leur expression la plus dégoulinante de guimauve, et pétries de clichés tous plus éculés les uns que les autres. Comment sauver du ratage intégral "Pour l'une d'entre vous" comme "La chanson du bon dieu", aux paroles et musiques insipides ? Pour évoquer la joie d'un enfant à naître, tout le monde n'a pas le talent d'Yves DUTEIL et Jean-Pierre Lang l'apprend à ses dépends dans l'éculé "Quand l'enfant viendra", malgré l'assez belle musique de son acolyte.
A partir de cet album, l'enfance devient un sujet récurrent dans la discographie de Pierre BACHELET, ici représenté par les titres "En l'an 2001", "Quand l'enfant viendra" et "Elle ne sait faire que Ah". Oublions les deux derniers pour ne retenir que "En l'an 2001", petite merveille mélodique aux arrangements irrésistibles où brille un choeur d'enfants particulièrement bien dirigé qui élève la chanson à la dimension d'un esprit scout. Le chanteur se réserve les couplets et laisse la part belle au choeur d'enfants lors du refrain. Encore une fois, Jean-Pierre Lang exploite au mieux la dichotomie couplets/refrain en jouant d'un adroit décalage. En effet, si dans les couplets le chanteur se laisse aller à imaginer la vie de son "petit bonhomme" en l'an 2001, le refrain entonné par les enfants -on pense immanquablement à la fameuse croisade des enfants- décrit un mode de vie rétrograde comme une reconstruction après un cataclysme nucléaire, comme un retour à la préhistoire, ce qui n'est guère de bon augure pour l'avenir. Francis CABREL saura en 1986 se souvenir de la recette de cette chanson avec "Il faudra leur dire". Si "En l'an 2001" figurait sur la première galette, cela aboutirait à un excellent album.
En définitive, presque l'intégralité du deuxième disque aurait mérité de rester dans le cimetière des chansons non retenues. Cela révèle chez notre duo une absence flagrante et dommageable de discernement. Avec les trois dernières chansons ("Derrière le grand abat-jour", "La chanson de Presley" et "Un ami qui s'en va"), aux textes tristes à pleurer et aux mélodies insipides, on racle le fond du fût.

Si vous trouvez le premier disque isolément, vous pouvez vous le procurer : quelques chansons valent le déplacement ; quant au second, fuyez-le, même s'il contient le grand succès "En l'an 2001" qui surnage dans cette banquise morte.

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   AIGLE BLANC

 
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- Pierre Bachelet (chant & compositions)
- Christian Roshem (guitare)
- Claude Mainguy (guitare)
- Patrice Tison (guitare)
- Gérard Levavasseur (basse)
- Lionel Lecreux (batterie)
- Bernard Levitte (claviers, arrangements)
- Guy Mattéoni (claviers,direction orchestrale)


1. Vivre
2. Le No Man's Land
3. Mais Chez Elle
4. Coeur De Goélan
5. Marionnettiste
6. Les Petites Gens
7. La Fille Solitaire
8. Mais J'espère…
9. Elle Ne Sait Faire Que Ah
10. En L'an 2001
11. Pour L'une D'entre Vous
12. La Chanson Du Bon Dieu
13. Quand L'enfant Viendra
14. Derrière Le Grand Abat-jour
15. La Chanson De Presley
16. Un Ami Qui S'en Va



             



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