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Etienne DAHO - Le Condamné à Mort (2010)
Par AIGLE BLANC le 21 Avril 2019          Consultée 1651 fois

Quand Jean Genet compose son long poème Le condamné à mort en 1942, il a entre seize et dix-sept ans et se trouve incarcéré à la prison de Fresne, suite à de petits larcins, et notamment des vols de livres. Il est déjà ce qu'on nomme un délinquant, et pour reprendre un terme que d'aucuns chargés de la plus haute mission de l'Etat ne se priveraient pas d'employer : une racaille. La publication de ce poème comprenant soixante-six strophes de quatre à cinq vers chacune, délivrés en alexandrins, provoque pourtant dans le milieu littéraire une salve de réactions épidermiques, certains choqués par la crudité d'un texte à caractère pornographique, d'autres en admiration devant la puissance d'une écriture poétique digne des poètes maudits Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire et Paul Verlaine. Malgré son inexpérience littéraire, Jean Genet trouve son plus fervent défenseur en la personne du prince des poètes, Jean Cocteau, qui ne ménage pas sa peine pour faire libérer le jeune garçon et l'introniser comme poète majeur de son temps. Ironie du sort, ou preuve de son génie, Jean Genet a composé Le condamné à mort suite à un défi que lui ont lancé ses compagnons de cellule. En effet, ce dernier avait massacré verbalement les poèmes qu'un codétenu avait adressés à sa soeur adorée, affirmant qu'il n'étaient qu'un ramassis de pleurnicheries et qu'il pouvait écrire des poèmes infiniment supérieurs aux siens.

C'est ainsi que débute la carrière littéraire de Jean Genet, auteur de romans et de pièces de théâtre aux puissants relents de souffre dont on ne trouve trace dans la littérature française du vingtième siècle que chez Louis-Ferdinand Céline. Depuis, Jean Genet est devenu une figure fantasmatique dans le milieu musical, et dans la mouvance rock en particulier. David Bowie et Lou Reed le portent aux nus ; Bob Dylan lui doit d'avoir inspiré la figure du poète vagabond chère aux écrivains de la Beat Generation, Jack Kerouac et William Burroughs. En France, il inspire la compositrice-interprète folk Hélène Martin qui, dès 1968, met en musique l'intégralité du Condamné à mort dont le présent disque, objet de cette chronique, constitue une nouvelle interprétation. En 1970, Marc Ogeret en avait livré la version de référence, celle qui n'avait pas manqué d'impressionner le jeune Etienne DAHO, devenu fan du poète Jean Genet, et qui a su attendre patiemment l'occasion favorable avant de monter le projet fou d'une nouvelle interprétation de la partition d'Hélène Martin.
Et cette occasion se présente sous les traits lumineux de la grande dame qu'est Jeanne Moreau, émue par l'interprétation de "Sur mon cou", extrait du Condamné à mort, qu'Etienne DAHO avait chanté la première fois lors des Victoires de la Musique, puis souvent en concert. Il n'en faut pas plus au chanteur pour lui proposer de monter avec elle une nouvelle version de l'oeuvre de Jean Genet, écrivain que Jeanne Moreau a connu et fréquenté un moment et dont elle a incarné à l'écran en 1982, pour Rainer Fassbinder, la prostituée de Querelle, adaptation cinématographique de son roman Querelle de Brest. Qu'Etienne DAHO interprète le poème de Jean Genet, voilà une surprise à laquelle personne ne s'attendait. L'imagineriez-vous reprendre des chansons de Léo FERRE, de George BRASSENS ou de Jean FERRAT ? Sachez que reprendre du Jean Genet revient à adopter une position encore plus radicale que celle des artistes cités.

Un disque mêlant chant et récitatifs sur la base d'un poème écrit en alexandrins nécessite la maîtrise d'une technique vocale qu'Etienne DAHO ne possède pas vraiment. C'est là qu'intervient l'expérience de comédienne de Jeanne Moreau qui lui apprend à placer une voix neutre, froide, sur des mots enfiévrés et à chanter avec le feu dans le coeur. La présente chronique n'évalue pas le poème de Jean Genet, aussi magnifique que sulfureux, ni la partition d'Hélène Martin, aussi sobre que séduisante, mais la performance des deux interprètes et le travail sur les nouveaux arrangements musicaux.
Dans la version de Marc Ogeret, les arrangements privilégiaient les sonorités rugueuses. Le condamné à mort par Etienne Daho gagne en séduction pop ce qu'il ne perd en rien en urgence poétique. Bien que la chanson figure parmi ses premières amours et qu'elle ait sorti au cours de sa carrière, ce que l'on ignore souvent, pas moins de six albums, Jeanne Moreau a préféré n'assurer que les récitatifs, laissant donc à son partenaire la partie dévolue au chant, ce dernier l'accompagnant aussi épisodiquement en duo dans certains récitatifs. Si la voix grave et cendrée de miss Moreau constitue son atout le plus évident, si sa diction de comédienne chevronnée lui assure une performance infaillible et si l'entendre assumer de sa bouche des mots d'une crudité pouvant effaroucher encore bien des adolescentes délivre un plaisir à nul autre semblable, c'est la performance d'Etienne DAHO qui surprend le plus ici. Il le reconnaît lui-même : chanter les textes d'un autre artiste l'a libéré de son stress coutumier. De sa voix toujours aussi suave et d'une sobriété remarquable, mais d'une octave plus haut que d'ordinaire, il fait résonner les mots de Jean Genet avec une force d'autant plus remarquable qu'elle ne se départit jamais d'une certaine tranquillité. Le risque était grand de livrer un exercice scolaire, surtout dans le cadre d'un texte poétique en alexandrins, et le chanteur s'en tire avec les honneurs.
Les musiciens restent peu ou prou les mêmes que ceux ayant officié sur l'album L'invitation (2007), soit le guitariste François Poggio, le bassiste Marcello Giuliani et le batteur Philippe Entressangle, complétés par la section de cordes réduite au duo que forment la violoniste Karen Khochaffian et le violoncelliste Dominique Pinto. Les nouveaux arrangements mettent en valeur les harmonies complexes d'Hélène Martin en les rendant plus lisibles que dans la version de Marc Ogeret, ce qui a pour effet dans le même temps de rendre plus sensible encore les belles mélodies d'Hélène Martin.

Le condamné à mort est un projet audacieux, à contre-courant de l'industrie musicale d'aujourd'hui, et cela est à mettre au crédit d'Etienne DAHO qui révèle ici une facette méconnue de sa personnalité.

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   AIGLE BLANC

 
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- Etienne Daho (chant, récitatifs)
- Jeanne Moreau (récitatifs)
- François Poggio (guitare)
- Marcello Giuliani (basse)
- Philippe Entressengle (batterie et percussions)
- Dominique Pinto (violoncelle)
- Karen Khochafian (violon)
- Thomas Henning (trompette)
- Eric Gaultier (saxophone)


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3. Ne Chante Pas Ce Soir
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5. Ô La Douceur Du Bagne !
6. Tristesse Dans Ma Bouche
7. Voler, Voler Ton Ciel
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17. Pardonnez-moi Mon Dieu
18. J'ai Dédié Ce Poème



             



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