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BALDOCASTER - Mirage (2020)
Par CHIPSTOUILLE le 19 Juin 2022          Consultée 1094 fois

Les mirages sont pour les yeux, BALDOCASTER est pour les oreilles.
Daren De Toni.

Avez-vous vu cette fameuse illusion d’optique découverte encore récemment (1) ? Il s’agit d’une ombre en forme de cercle qui recouvre un motif à points. La tâche semble s’agrandir sous nos yeux. Pourtant, elle est parfaitement immobile. Fascinant, non ? A moins que vous ne fassiez partie des 14% de personnes dont le cerveau n’est pas berné par cette illusion. Une grande partie de notre champ de vision est simulée ou plutôt anticipée par notre cerveau.

La lumière, par ailleurs, du fait de sa double nature onde-corpuscule, est également sujette à de nombreux effets déformants : diffraction, réfraction, filtres. Notre cerveau n’y est ce coup-ci pour rien. Il en va de même des mirages, déviation des faisceaux lumineux dues aux déplacements d’air chaud (2). Le spectre lumineux nous est d’ailleurs en grande partie invisible. D’autres animaux peuvent y être sensibles. Avez-vous déjà vu le plumage d’oiseaux colorés passé sous lampe UV ? Même pour notre perception des couleurs, nos yeux nous trompent. Certaines personnes ont 4 types de cônes (elles sont sensibles au jaune, en plus des usuels vert, rouge et bleu). Pour nous autres qui n'en avons que 3, il se pourrait que nous soyons de leur point de vue aussi insensibles aux couleurs que des daltoniens. La parabole de l’éléphant, vous connaissez ? Il me semble d’un coup que les bandeaux ne sont pas nécessaires. Nous sommes de toute façon incapables de percevoir la réalité.

Qu’en est-il du son ? Est-il déformé ? Notre cerveau nous trompe-t-il ? Sommes-nous également victimes d’hallucinations ? Si je vous dis que le son est une onde, au même titre que la lumière (au moins en partie) j'ai déjà répondu à la moitié de la question. D’autant que la relative lenteur du son nous permet d’observer certaines déformations comme l’effet Doppler par nous-même. Mais il y a mieux : des hallucinations propres au son (3). Dans la capitale autrichienne, tout un musée y est d’ailleurs dédié. La musique est pleine d’illusions.

Parmi celles qui caractérisent ce second album de BALDOCASTER, est-ce une 'mélodie des silences' (5) que l’on peut percevoir sur "Against the Grain" ? Je ne le pense pas. Mais il s’agit bien là d’un tour d’illusionniste. Visez 1’35 pour être très précis. Comme d’habitude, les mélodies simultanées sont nombreuses. Mais à chaque fin de phrase, tout se synchronise sur 5 aspirations qui tranchent dans tous les flux en simultané. Lesquels se désynchronisent comme par magie une reprise sur 2 avec variation systématique. L’effet produit sur nos oreilles est aussi satisfaisant qu’une strette magistrale en conclusion d’une fugue (6). On se croirait tels Golgoth, Firost et Erg Machaon, première ligne de La horde du contrevent, à braver un vent si féroce qu’on se ramasse des pluies de pierres dans la figure. L’effet demande une précision que seule permet la MAO, ingrédient indispensable ici.

On retrouve un effet similaire sur les fins de phrases arrêtées de "Before Dawn" (4). Sur "Curse this Castle" (cette mélodie imparable !), on entend également un étrange effet de rebond plus discret. Si les instruments utilisés par BALDOCASTER n’ont toujours rien de nouveau (c’est de la Synthwave, après tout), leur utilisation s’avère en tout cas des plus originales et maîtrisées. Du fait de ces effets demandant une grande précision, Mirage est strictement injouable en concert. Nous avons là une pure œuvre de studio.

Au menu de cet album 5 étoiles : toujours du synthétiseur Roland Juno-60, des éléments de l’école de Berlin hérités de Solare (en particulier sur "Black Dove" et "Shifting Sands") ainsi que de la 'french touch'. BALDOCASTER décrivait son second album comme 'more french', ce qui se rapporte tout autant à Jean-Michel JARRE qu’à JUSTICE ou KAVINSKY ici. On retrouve même un peu des nappes au vocodeur de DAFT PUNK sur "All this time".

Mais avant tout : polyphonie, polyrythmie, variations de volume, progressions mélodiques, phrasés riches, harmonies complexes, chromatismes, sens aiguisé de la mélodie (tout ça se siffle ou se fredonne), structure recherchée faite d'éléments ayant la capacité de se combiner entre eux, capacité à raconter des histoires, cohésion de l'ensemble, sens de la concision, de la précision, décalages et décrochages, en sus des effets précités faits de silences et qui enrichissent la section rythmique, déjà très recherchée sans cela. Mieux, BALDOCASTER enchaîne les modulations tout en parvenant à les accompagner d’effets de déformations (ceux que l’on retrouve à foison dans les sonorités acides du TB-303, non employé ici), comme sur la majeure partie de l’excellente "Canyons". Tout cela parvient à se combiner, tient la route et reste aussi facile que lisible, même pour les oreilles les moins entraînées. Quelques passages peuvent survenir encore de façon péremptoire, rien de flagrant. Ce n’est pas le premier venu qui peut réaliser cela. Plus d’hésitation à avoir, nous emploierons donc bien le terme de musique savante ici. Comme celle-ci use donc en prime d'effets irréalisables en dehors du domaine de la musique électronique, en un mot, c’est sublime.

Au milieu de cet album, trône son joyau. Quelle référence cinématographique rattacher à pareille expérience ? Le duel à mort entre James Bond et Scaramanga ? Cette scène inoubliable de Enter the Dragon ? Celle tout aussi troublante mais néanmoins réussie de The Last Jedi, lorsque Rey plonge tête baissée dans la caverne de Ahch-To ? Avez-vous déjà été enfermé seul entre deux grands miroirs ? Faire face à une infinité de soi est une expérience à vivre. "Mirrors" trouble pareillement. Sa mélodie qui monte en intensité s’y réverbère à l’infini, joue avec nos oreilles et trouble nos esprits. Mirage est surtitré 'a surreal journey', "Mirrors" en est son apogée.

Si on veut vraiment chipoter, on peut regretter une légère baisse de régime sur l’enchaînement "Shifting Sands"/"Featherweight". Le reste de l’album atteint de tels niveaux stratosphériques que ces deux titres seulement bons s’en retrouvent pointés du doigt. Ils sont courts et homogènes en style. Cela n’a donc aucune importance.

Je crois avoir enfin trouvé l’album de musique électronique que je cherchais depuis 30 ans. Mirage est à la fois catchy, recherché, plannant et stylé. Je n’ai pas besoin de 15 albums et encore moins d’années supplémentaires pour qualifier BALDOCASTER de génie. Ou bien suis-je victime d'un mirage ? BALDOCASTER serait-il, tel Antoine de St Exupéry, en train de réparer sa navette échouée ? Serais-je alors le petit garçon venu de nulle part qu'il s'imagine l'accompagnant dans sa solitude ? Dans ce cas, bouchez-vous les oreilles, dessinez-moi un Wookie (n’oubliez pas les trous pour le laisser respirer), et laissez-moi mourir d’orgasmes auditifs sur ma planète recouverte de sable violet.

(1) https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnhum.2022.877249/full
(2) Si vous pensez n’avoir jamais été témoin d’un mirage, alors rendez-vous sur une longue route goudronnée cet été. Si vous avez l’impression de voir des flaques d’eau au loin sur le goudron alors qu’il fait une chaleur de tous les diables, c’est un mirage. Rapprochez-vous, vous verrez qu’il n’y a pas une goutte d’eau.
(3) https://www.youtube.com/watch?v=2EUFiSlv8jU
(4) "Witness Me" sur War Rig utilise le même type d’effet qui hache ses lignes de synthés en fin de phrase.
(5) Cf. aparté (3), n°9 dans la vidéo (donc situé au début puisqu’il est donné à l’envers…).
(6) Cf. chronique de l’art de la fugue de BACH.

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- David Paul Hill


1. Canyons
2. Curse This Castle
3. Black Dove
4. Before Dawn
5. Mirrors
6. Shifting Sands
7. Featherweight
8. Against The Grain
9. Traversal
10. All This Time



             



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