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- Style : Joseph Haydn , Felix Mendelssohn
 

 Ludwig Van Beethoven, Le Site (1920)

Ludwig Van BEETHOVEN - Trois Sonates [1 à 3] Pour Piano - Op 2 (pollini) (1795)
Par RAMON PEREZ le 29 Décembre 2022          Consultée 484 fois

Chaque matin voyait Martin Fleisher davantage anxieux que la veille. C’est qu’il avait fait une audace. Et que, depuis, il attendait. Il attendait que la voiture du service postal lui amène l’objet de son extravagante dépense qui était, aussi, il fallait bien l’admettre, une tentative de forcer le destin. Destin qu’il fallait sans doute forcer d’ailleurs, tant sa vie semblait bloquée. Son grand-père, Friedrich Fleischer s’attardait en ce monde. Il avait depuis longtemps dépassé l’âge canonique de soixante-dix ans. Il n’y voyait plus depuis une éternité, n’entendait guère mieux. Cela faisait des années qu’il n’était plus question pour lui de jouer de musique tant l’arthrose avait grippé ses doigts. Mais c’était toujours lui le compositeur de la cour et, à ce titre, c’était lui qui décidait de tout concernant la musique au duché de Saxe.

Ce n’était pas un rôle sans importance car, si le duché de Saxe n’était qu’un confetti sur la carte du Saint Empire Romain Germanique, il était un confetti qui comptait. Nièce de Frédéric le Grand, la duchesse Anne-Amélie était l’une des plus grandes aristocrates de son temps. Elle avait dirigé le duché après la mort de son mari, durant presque vingt ans. Elle avait ensuite laissé le pouvoir à son fils, mais continuait d’exercer une grande influence. Elle avait fait de Weimar un foyer culturel de premier ordre qui rayonnait dans tout le monde germanique. Sa cour, que d’aucuns surnommaient la Nouvelle Athènes, avait vu passer les plus grands musiciens, les plus grands auteurs, les plus grands peintres. Encore aujourd’hui, Martin pouvait rencontrer Goethe dans les couloirs du palais, arpentés depuis des années par le grand homme. La présence de ces illustres personnalités était courue, aussi les princes allemands venaient-ils régulièrement tenir salon à Weimar, conférant ainsi à ce duché une importance diplomatique qui n’avait aucun rapport avec son poids militaire.

Le duc Charles-Auguste entendait préserver cet état de fait et payait largement de sa poche pour cela ; il n’était bien sûr pas question de le décevoir. Friedrich Fleisher était le superviseur de tout ce que l’on entendait à la cour. Il était là depuis toujours pour les gens qui vivaient alors à la cour. Il était de notoriété publique qu’il avait enseigné le clavecin à la duchesse lorsque celle-ci s’était installée à Weimar, il y avait de cela quarante ans. Autant dire qu'il en restait bien peu à avoir connu cette époque. Avant lui, son père avait servi le duc d’alors. Il avait notamment employé un certain BACH, un musicien que tout le monde ou presque avait oublié par la suite mais que l’on redécouvrait depuis peu, pour la plus grande gloire de ce duché où il avait composé des œuvres essentielles. Le fils aîné de Friedrich devait un jour lui succéder, il lui avait donc tout appris. Cependant, le destin avait été contraire, faisant mourir le fils bien avant le père. C’était donc Martin qui devrait prendre bientôt la relève de son aïeul.

Il s’y préparait depuis longtemps mais, plus le temps passait, plus son grand père restait en vie, et plus une certaine angoisse l’assaillait. Car il approchait bientôt l’âge respectable de trente ans où l’on ne débute plus. De fait, c’était lui qui faisait l’essentiel des tâches incombant à son grand-père, désormais incapable physiquement. Il savait pourtant qu’il n’était qu’une aide ; c’était Friedrich qui décidait de tout, même s’il ne faisait plus grand-chose. Martin se demandait si son heure n’était pas déjà passée, si l’on ne souhaiterait pas un profond changement après un tel règne, si l’on ne confierait pas la suite à une toute autre personne. Pour prouver à la cour sa valeur, pour imposer l’idée qu’il était digne de succéder à Friedrich, il s’était mis en quête, ces dernières années, des perles rares, des nouveautés musicales qu’il serait le premier à faire entendre aux princes de Weimar. Il avait pour cela établi des contacts un peu partout dans l’empire, avec qui il correspondait ardemment.

Mais son meilleur contact se trouvait au-delà des frontières. Il s’agissait de l’un de ses anciens camarades d’études, établi depuis à la capitale de l’autre empire, celui d’Autriche : Vienne, ville qui était sans équivoque le grand foyer musical de ce temps. S’il voulait être à la page, Martin savait que c’était là-bas qu’il fallait avoir l’œil et l’oreille. Or, quelques semaines auparavant, il avait reçu une missive enflammée de son ami. Ce dernier avait vu et entendu l’avenir. Un jeune prodige venait de publier ses premières pages et Martin ne devait pas, ne pouvait pas passer à côté. Etre le premier à faire entendre ces œuvres à Weimar ferait définitivement de lui le digne successeur des Fleisher. Seul problème : ces premières œuvres étaient gigantesques. Deux opus différents, énormes, des pages et des pages ; une fortune. Mais n’y comptez pas, dépensez-la, ne ratez pas ! Et Martin s’était risqué. Sur ses maigres fonds personnels, il avait envoyé le plus gros mandat de sa vie à Vienne et attendait depuis lors l’arrivée de ces pages de partitions sensées assurer son avenir.


Ce matin-là, enfin, la voiture viennoise arriva à Weimar. Martin n’eut besoin que d’un coup d’œil pour constater que, matériellement, il en avait eu pour son argent. Deux énormes catalogues lui étaient adressés. L’un d’une centaine de pages, l’autre certes plus petit et pourtant si épais ; une bonne soixantaine de feuillets. Il se les fit porter dans son auditoire puis les examina. Le plus gros était un trio pour piano, violon et violoncelle. Mais c’est sur le moins épais qu’il s’arrêta avec surprise : soixante pages, mais un seul instrument : le piano ! Il pouvait s’y mettre directement lui-même, n’ayant besoin de personne pour l’accompagner dans la découverte de cette œuvre, l’opus 2 de Ludwig Van BEETHOVEN - ses trois premières sonates pour piano.

Aussi s’approcha-t-il du clavier. Cette nuit-là, de même que les suivantes, une consommation excessive de cierges fut signalée à l’intendance du palais. En effet, Martin eut bien du mal à s’éloigner de son instrument tant il était évident que son ami ne lui avait pas menti. Ce qu’il avait sous les yeux, sous les doigts, c’était neuf ! Ca n’était certes pas exempt de défauts. Quelques passages trop faciles, des redondances également, des maladresses de jeunesse. Mais il avait maintenant suffisamment d’âge pour ne pas s’arrêter à ces vétilles. Il voyait clairement derrière ce manque de polissage une matière brute au potentiel exceptionnel. Il y avait une force incroyable dès le premier mouvement, des développements magnifiques, des passages pleins de profondeurs, des thèmes au comble de la délicatesse. Il fut bien étonné, et même quelque peu déçu, d’apprendre des années plus tard que HAYDN, qui avait été le professeur de BEETHOVEN et à qui étaient dédiées les sonates de cet opus, s’était montré peu sensible en découvrant ces compositions. Sans doute le maître et l’élève parlaient-ils tous deux depuis deux époques trop différentes pour bien se comprendre.

Martin voyait dans la forme-même de ces sonates une continuité avec les grands maîtres qui avaient précédé le jeune Ludwig. Il y avait à chaque fois quatre mouvements : le premier en forme-sonate, le deuxième comme mouvement lent, avant le dernier, rapide et aérien. Comme le faisaient MOZART, cité dès l’ouverture du premier mouvement, ou HAYDN dont on sentait fréquemment l’empreinte (ce dernier avait écrit plus de soixante sonates). Cependant, il y avait aussi ce troisième mouvement, tout à fait novateur. Avec audace, BEETHOVEN intégrait une danse en menuet sans sa première œuvre puis une fantaisie en scherzo dans les deux suivantes. A la lecture, puis au déchiffrage et au jeu, il ressentait une personnalité unique, violemment contrastée. Quelqu’un qui amenait le piano et même la musique plus loin. Si le souffle et la puissance du premier morceau lui plurent très vite, c’est le décalage avec le deuxième mouvement qui le saisit profondément. Un morceau méditatif éclairé magiquement ; délicat et pourtant si solide. Quelque chose y était énoncé qui n’avait jamais été dit jusqu’ici. La suite de cette sonate était pleine de joliesse, de souffle, avec en particulier un dernier mouvement sur lequel il s’attarda longuement, aimant le toucher ainsi que le jeu qu’il demandait, faisant surgir ce thème dont il ne se lassait plus.

Il devait bien reconnaître que la deuxième sonate l’intéressait un peu moins. Elle lui paraissait plus académique et parfois redondante. Mais il lui reconnaissait un ton assez différent de la première, quelques passages joliment troussés. C’était surtout le scherzo qui lui plaisait, avec ses sautes d’humeur, du guilleret au plus inquiet. Une belle ouvrage assurément. Mais qu’il oubliait bien volontiers pour laisser son esprit voyager au gré de la troisième sonate, celle qu’il admirait le plus. Pour commencer, BEETHOVEN avait eu l’espièglerie de la composer en do majeur, comme le premier débutant en composition venue ! Mais il ne fallait pas beaucoup de mesures pour voir que ce pied-de-nez émanait du génie. Le premier mouvement était un terrain de jeu exaltant sous ses doigts, lui permettant de toucher des harmonies limpides, d’exhaler une poésie délicieuse et de laisser en outre libre cours à la pleine puissance de son instrument.

L’adagio était parfaitement déchirant, d’une tension et d’une douleur sourde. Ses octaves basses s’imposaient tels le glas dans le silence des champs. L’esprit du musicien s’élevait en le jouant puis gambadait au fil de ce scherzo aux multiples voix, se tournant autour pour jouer ensemble avant de s’élever dans cette époustouflante partie en relative mineure, si lumineuse et vivante. Enfin l’Allegro était une ode à l’existence qui l’emplissait de joie tant il se montrait fougueux et brillant. En quelques nuits d’étude de ce formidable recueil, Martin Fleisher sut que sa vie en serait changée, bien qu’il eût encore du mal à voir dans quelles nouvelles directions cela le mènerait.

Bien sûr, il ne pouvait pas encore se douter qu’il se trouvait face à la première pièce de l’une des plus grandes constructions pianistiques de l’histoire, que BEETHOVEN passa sa vie entière à édifier. Ces trois premières sonates s’avèreraient plus tard n’avoir été que le point de départ des trente-deux que l’Histoire retiendrait. Certainement pas les meilleures, ni les plus abouties, mais pourtant parmi les plus essentielles et les plus enlevées grâce à la force de leur nouveauté. En revanche, Martin savait d’ores-et-déjà une chose déterminante. Et peu importe que le duc de Saxe et sa cour le comprennent en même temps que lui ou non. Il était prêt à courir le risque de perdre sa place pour aller porter la bonne parole là où on voudrait bien lui laisser un piano pour l’exprimer. Il présenterait ce BEETHOVEN dans tout l’empire s’il le fallait, il savait que d’autres que lui comprendraient ce qui s’était passé à Vienne : le XIXème siècle venait de commencer.



L’enregistrement des Sonates de BEETHOVEN est un passage obligé pour de nombreux pianistes qui gravent souvent l’intégrale. Il y en a également pour proposer des sélections de sonates de toutes les époques. Il existe donc des versions innombrables de ces trois œuvres. Si je mets POLLINI en avant, c’est parce qu’il a réalisé en 2006 un enregistrement de l’opus 2 en tant que tel. Il est un spécialiste reconnu, un technicien accompli qui réussit cependant à ne pas verser dans l’esbroufe et à garder du souffle dans son interprétation. Il existe pléthores d’autres interprètes recommandables comme ARRAU bien sûr ou encore KOVACEVICH.

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- Maurizio Pollini (piano)


- sonate 1 - Opus 2 Nr.1
1. Allegro
2. Adagio
3. Menuetto
4. Prestissimo
-
- sonate 2 - Opus 2 Nr.2
5. Allegro Vivace
6. Largo Appassionato
7. Scherzo
8. Rondo
-
- sonate 3 - Opus 2 Nr.3
9. Allegro Con Brio
10. Adagio
11. Scherzo
12. Allegro Assai



             



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