Une fois, c’est surprenant. Deux fois, c’est perturbant. C’est en effet la deuxième fois, d’affilée, que la chanteuse Marketa IRGLOVA se présente au concours Eurovision de la Chanson. En 2022, la détentrice d’un Oscar de la meilleure chanson (pour le film Once, en 2007), s’est lancée sous les couleurs de l’Islande, son pays de résidence depuis de nombreuses années, pour un résultat mitigé, puisqu’elle n’a pas été sélectionnée pour représenter le pays en finale. Mais visiblement, il y a chez Marketa une véritable envie de participer à cet exercice suranné, puisque c’est cette fois-ci sous pavillon tchèque, son pays de naissance, qu’elle tente une nouvelle fois sa chance. Pourquoi pas, après tout si l’on prend cette joute amicale et musicale pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un prétexte pour célébrer l’union des peuples, européens et d’ailleurs, et non pas pour ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire une représentation de la qualité musicale des différents pays du continent, alors il n’y a naturellement rien de déshonorant à s’en aller chanter devant des millions de spectateurs souvent plus amusés que séduits. Et puis, si le concours a vu défiler nombre d’artistes préfabriqués, parodiques ou factices, nombreux sont les artistes « authentiques » qui ont un jour profité de l’occasion de faire circuler leur nom et leur visage à grande échelle.

Souhaitons bonne chance à Marketa donc, car l’affaire n’est pas encore dans le sac. Le morceau qu’elle a choisi, illustré par un clip sur lequel la chanteuse a des petits airs de Joan BAEZ, est assez surprenant, puisqu’il s’éloigne quelque peu de son univers habituel. « Happy » lui est venu dans un rêve, explique-t-elle, au cours duquel elle chantait ce refrain mélodique et immédiat, deux caractéristiques indispensables pour avoir quelque chance de marquer les esprits. Au réveil, précise-t-elle, paroles et musique étaient parfaitement claires dans sa tête, la création de ce titre semble donc avoir comme coulé de source. « Happy » est un morceau qui ressemble a la chanteuse, mais qui ne sonne pas de manière tout à fait naturel. Car si les arrangements folk-modernes de ces mélodies fédératrices et intemporelles en font un morceau tout à fait sympathique, il n’en demeure pas moins que l’interprétation et les arrangements de ce titre ajoutent un soupçon de mélancolie qui tranche avec le propos. C’est ainsi, c’est dans sa nature, Marketa IRGLOVA a dans la voix cette petite touche douce-amère, qui adoucit les peines, mais tempère les joies. Et lorsque la chanteuse interprète son texte particulièrement simple (ce qui rompt avec ses habitudes), il en ressort un peu de joie, mais un spleen évident. Tant mieux, car si on arrive à ressentir un émoi à l’écoute de strophes telles que « ‘Cause I’m happy, happy / Happy to be here with you. / I’m happy, happy, / Happy to be here with you. », alors c’est que ce morceau d’apparence évident propose, sous une apparence futile, une vraie profondeur insoupçonnée dont on se délecte.

Alors évidemment, ce n’est peut-être pas gagné pour l’Eurovision. Tant pis, ou tant mieux, c’est selon. Mais avec ce « Happy » faussement superficiel, résolument marqué par l’identité artistique unique de la chanteuse, Marketa IRGLOVA nous offre une petite bougie à la flamme fragile posée la sous la pluie. Une vraie fausse joie, qui donne envie de danser et de partager, de s’émouvoir et de ressentir seul(e) les sentiments humains.

Ecouter « Happy » : https://www.youtube.com/watch?v=SWvA7JO9u9I