En 1999, Jeff BECK n’a plus sorti de musique originale depuis 10 ans et l’album Guitar Shop, Crazy Legs paru en 1993 étant un album de reprises de chansons de Gene VINCENT.
Comme toujours, c’est l’envie d’expérimenter et d’aller vers des sonorités nouvelles qui incite le guitariste à sortir de son Sussex et à relancer sa veine créative. Le retour à ses côtés de Tony Hymans et la rencontre avec Jennifer Batten, ex-guitariste de Michael JACKSON, le conduisent à se lancer dans une musique très éloignée de ses œuvres précédentes, une sorte de Techno-Rock un peu indus, largement construit autour de motifs répétitifs, d’instruments électroniques et de boîtes à rythme sur lesquels Jeff vient poser ses notes de Stratocaster.
Who Else ! (titre humoristique faisant référence à l’émergence du chanteur BECK qui ose porter le même nom que le maître), est ainsi le premier volet d’une trilogie consacrée à cette formule. Il va de soi que les fans de la première heure, attachés au Blues-Rock mâtiné de Hard des premiers disques, ainsi que ceux qui ont aimé la trilogie Jazz-Rock ou le Rock instrumental de Guitar Shop peuvent être déconcertés par ce virage, notamment la dimension moins viscérale des nouveaux titres et le travail sur les accompagnements électroniques. Cependant, tout fan de Jeff peut trouver son compte tant il sait illuminer la plupart des morceaux de ces son et style inimitables et il conserve intacte sa capacité à pondre des notes qui n’appartiennent qu’à lui.
Le début du disque, "What Mama Said", est rude cependant. Jennifer Batten s’y ingénie à singer avec sa technique de tapping des boucles de synthé sur un rythme frénétique, avant que des voix répétitives viennent clamer le titre du morceau. Je suis réservé devant cette pièce, et j’ai la même réaction devant "Space For the Papa", trop répétitif et monocorde à mon goût, de même que "THX138". Je trouve que "Psycho Sam", étonnant titre country-techno sur lequel Jeff s’éclate bien et "Blast From the East" sont plus réussis dans un registre proche. Sur "Hip-Notica", on retrouve une formule plus habituelle, et le son clair de Jeff fait son œuvre, alors que "Even Odds", composé par le vieux complice Jan Hammer, renoue un peu avec une inspiration plus Jazz-Rock.
Il nous reste à commenter les quatre plus belles pièces du disque, celles finalement les plus éloignées de sa tonalité générale. Commençons par le joli "Declan" du compositeur de musique traditionnelle irlandaise Donal Lunny, oeuvre sur laquelle les notes magiques et le lyrisme de Jeff s’entremêlent à merveille aux instruments folkloriques (cet essai sera superbement prolongé sur d’autres albums du guitariste). Autre merveille, "Angels" le bien nommé voit Jeff, sur un fond très atmosphérique, poser une mélodie superbe, interprétée avec une délicatesse et une justesse confondantes. La fin jouée au Bottleneck est totalement magique (je vous recommande la version du Live at Ronnies Scott’s où Jeff la joue à un volume de plus en plus faible dans un silence quasi religieux de l’assemblée). "Another Place" est un titre superbe, interprété en solo à la guitare avec un son et une musicalité magnifiques. Enfin, "Brush With The Blues", livré dans une version Live, constitue probablement le blues ultime de Jeff. Tout y est parfait : la batterie lancinante, une légère nappe de claviers, une basse discrète et la magie du maître qui nous expose toute sa palette sonore d’une infinie richesse et d’une beauté fascinante. Sa capacité à créer à chaque note et à se tenir à l’extrême limite de la dissonance n’appartiennent vraiment qu’à lui, pour un résultat renversant.

Vous avez compris que, aussi vertueuse soit-elle, ce n’est pas la facette la plus expérimentale de Jeff qui m’a séduit dans cet album. Difficile du coup de faire le tri entre des morceaux incroyables et d'autres plus difficiles à apprécier et probablement moins réussis. Je me contente d’une note moyenne, mais n’hésitez pas à aller dénicher les merveilles de cette œuvre, qui n’en manque pas.