Nous sommes à présent en 2006.

Rather Ripped, quinzième album sorti par SONIC YOUTH, représentait déjà en lui-même une rupture plutôt nette avec le passé. Ultime item des sept packagés dans le contrat renégocié avec le label Geffen et premier sans Jim O’ROURKE ayant récemment quitté le groupe, il voyait les Américains s’aventurer sur des sentiers pop plus accessibles en plus de s’interroger concernant leur avenir à court terme. En effet, l’intégration de la donnée enfants dans l’équation impliquait la modification du rythme de vie pour les parents MOORE, GORDON et RANALDO ainsi que l’éloignement de leur studio personnel Echo Canyon.

Ce lieu qui leur a permis de produire librement à leur rythme mais également documenter toutes leurs expérimentations via quelques volumes labellisés SYR ou mixtapes numériques disponibles sur leur site Internet est donc fermé juste avant que ne sorte Rather Ripped, la fin d’une phase que le groupe célèbre ensuite en publiant une compilation intitulée The Destroyed Room rassemblant du matériel inédit et majoritairement instrumental, la plupart enregistré entre 1999 et 2003 avec Jim O’ROURKE à Echo Canyon si ce ne sont la version longue de "The Diamond Sea", au final un peu moins tumultueux mais tout aussi magique et le bref country blues lo-fi "Razor Blade" composé par Kim GORDON.

Répondant à une commande faite par Leos Carax pour son film Pola X, la bassiste produit aussi "Blink", semi-improvisation construite via une rythmique frappée sur une guitare acoustique, quelques arpèges et un synthé lointain, une mystérieuse ode au mouvement sur une plage déserte soudain balayée par un nuage orageux (Mon corps bouge/ Il le fait sans prévenir/ Il dansait avant, un deux, un deux/ Il se dandinait, un deux, un deux). "Campfire" est un court collage où bruitages synthétiques perturbent un enchevêtrement de drones et boucles. Destiné à la compilation At Home With The Groovebox, on jurerait assister en direct au spectacle consistant à observer une ampoule qui s’allume au ralenti.

"Fauxhemians" – aussi mystérieux que son intitulé désignant une personne adoptant le look bohème sans en revêtir toutefois ni l’état d’esprit ni les conventions sociales, un poseur en quelque sorte – s’avère plutôt statique, malgré une suite d’accords rêveurs et un riff de basse permettant d’embrayer vers une partie plus rock. "Three-Part Sectional Love Seat" inaugure la formule à trois guitares sur une ligne de basse métronomique fournie par O’ROURKE et distille une belle progression krautrock. Ces deux instrumentaux plus "Queen Anne Chair" ont été pris sur le vif lors de sessions nommées Noho Furniture en parallèle des concerts menés début 2001 et mêlent dissonances et riffs efficaces à mi-chemin entre l’expérimental prôné par NYC Ghosts & Flowers et le rock irriguant Murray Street.

The Destroyed Room propose également trois extraits des séances consacrées à la réalisation de Sonic Nurse en 2003 dont deux étaient inclus en bonus sur les éditions japonaises de l’album. "Fire Engine Dream" est une jam haletante à la tension latente où l’influence forte de CAN transparaît nettement et déflagrant par instants fugaces. Une meilleure production caractérise "Kim’s Chords" et surtout "Beautiful Plateau", le morceau le plus convaincant du disque. Un équilibre instable après une introduction bien bruitiste, et une montée en puissance des guitares appuyée par un groove léger au lyrisme envoûtant vers un chaos final qui finalement n’aura ni le temps ni l’occasion de se produire.

Se retrouvent ainsi compilés quelques bons morceaux et des bœufs plus anecdotiques, cette sortie permet toutefois de se plonger efficacement dans le processus de création du groupe. Son intitulé est emprunté à la photo éponyme prise par Jeff Wall en 1978 et utilisée en couverture, déjà référencée précédemment pour une face B (en l’occurrence "Sugar Kane") et inspirée par le tableau La Mort de Sardanapale peint par Eugène Delacroix sur lequel figure le mystérieux et ultime souverain d’Assyrie, ayant apparemment vécu dans luxe, démesure et débauche.