En 1994, Tetsu INOUE s'était déjà fait remarquer sur la scène électronique européenne au sein de plusieurs projets en compagnie de l'insatiable Pete NAMLOOK, qui va d'ailleurs produire son premier album solo sur Fax +49-69/450464. Pendant longtemps, Ambiant Otaku (1) fut considéré non seulement comme l'un des meilleurs disques du label tous styles confondus, mais aussi et surtout comme une référence indispensable de l'ambient des années 1990. En 2001, le site américain Hyperreal le rangeait en sixième position dans sa liste des classiques de l'ambient music, à côté de BIOSPHERE, APHEX TWIN et Brian ENO. Malgré tout, la mystérieuse retraite du musicien japonais en 2007 puis la disparition prématurée de Pete NAMLOOK cinq ans plus tard l'ont fait disparaître des classements les plus récents, il est vrai bien en peine devant le nombre sans cesse croissant d'albums publiés dans le même genre depuis une trentaine d'années.

Contrairement à ses premières expériences plus souvent orientées techno (2), Tetsu INOUE s'affranchit quasiment des beats pour se concentrer sur de longs morceaux d'ambient, assemblage patient de boucles tranquilles et de claviers éthérés. Notre Japonais s'y dévoile comme un otaku, terme renvoyant à une personne se consacrant de façon obsessionnelle à un sujet ou un loisir, clin d'œil à son propre état d'esprit durant la composition de cet album. La pochette, sans doute une référence au cinq dhyani bouddhas, ainsi que les titres "Karmic Light" et "Holy Danse", évoquent également une certaine forme de spiritualité. Comme à l'habitude chez Fax, le disque ne comporte cependant aucune indication, laissant ainsi chacun libre de s'en saisir à sa manière.

Quoi qu'il en soit, Ambiant Otaku est un album hautement contemplatif. On pensera parfois à Brian ENO, mais en vérité Tetsu INOUE change radicalement d'approche. Il n'est pas ici question de remplir un vide, en l'occurrence de masquer le silence. Il s'agit véritablement de dépasser cette idée de 'musique de fond' et l'écoute se doit ainsi d'être attentive. À travers le voile de ces landscapes atmosphériques émergent des boucles qui viennent subtilement nous inviter à la méditation. Les sereines "Low Vibration" et "Magnetic Field" illustrent particulièrement bien cette idée. Les ambiances sont douces et paisibles, évoquant des temples zens et des jardins embrumés. Dans le même registre, "Holy Danse" se révèle également très chill et hypnotique. Tetsu ne se précipite jamais et laisse brûler l'encens jusqu'au bout. Un rythme discret fait son apparition après quelques minutes, suffisamment en retrait pour s'intégrer parfaitement au reste, étayant cette agréable transe à laquelle on se sera facilement abandonné. Avant cela, les loops de la lumineuse "Karmic Light" offrent tout d'abord à l'album un envol plus énergique, avant de lentement s'évanouir pour faire place à une longue respiration, vaporeuse et apaisante. Quant au morceau-titre, le Japonais nous surprend avec des ambiances au contraire étonnamment sombres et menaçantes. On frôle le bad-trip sans pour autant renoncer à l'écoute, fasciné par cet étrange intermède faisant office de pont entre les deux parties du disque.

Ambiant Otaku est-il le meilleur skeud de Tetsu INOUE ? Difficile à dire, tant la discographie du bonhomme reste riche et qualitative. Malgré tout, on ne peut que chaudement le recommander aux amateurs d'ambient qui trouveront ici bien plus qu'un simple classique de la musique électronique, mais bien une expérience marquante, toujours indémodable presque trente ans après sa sortie.

(1) Cet album a tout d'abord été publié sous le seul nom d'AMBIANT OTAKU, mais a depuis été réédité deux fois sous le nom de Tetsu INOUE. Dans un souci de cohérence discographique, nous avons choisi de le classer ici comme tel.
(2) Voir les albums The Shades of Orion et 2350 Broadway avec Pete NAMLOOK ou Datacide en compagnie d'Uwe SCHMIDT.