En tant que musicien, j'ai été très inspiré par PINK FLOYD et TOMITA. La raison pour laquelle j'ai aimé ces groupes, c'est qu'ils vous plongent dans un état d'esprit très différent […]. Je voulais faire de la musique qui puisse s'écouter de cette façon, parce qu'on ne prenait pas vraiment de drogues au Japon, ainsi la musique devait remplir ce rôle.

En disant cela, Tetsu INOUE refuse de considérer l'ambient comme une musique destinée à rester en retrait et à combler le vide laissé par le silence. Selon lui, lorsque les grandes maisons de disques ont commencé à s'y intéresser, les musiques 'new age' et ambient sont de plus en plus devenues synonymes d'easy listening, n'ayant alors d'autre but que d'être écoutées en fond sonore. Notre Japonais accordait ainsi une valeur très particulière à sa musique. Sur Ambiant Otaku, transparaissait déjà cette idée d'accéder à la transe, cet état de conscience altérée, dans une démarche en partie inspirée par la spiritualité orientale. Tetsu INOUE partageait ainsi la même définition de l'ambient avec son producteur et ami Pete NAMLOOK, celle d'un voyage concret, véhicule d'intenses émotions, loin des abstractions impossibles ou des expérimentations vides auxquelles certains artistes avaient pu s'adonner avant cela (1).

Organic Cloud (2) poursuit en ce sens. À l'instar d'Ambiant Otaku, le disque nous invite au recueillement le plus attentif, en multipliant les références à la religion chrétienne (les chœurs de "Chill In Chill Out"), au chamanisme ("Journey to Ixtlan", clin d'œil à Carlos Castaneda) et à l'hindouisme ("The Night in Goa" et ses boucles de voix). Les morceaux s'enchaînent sans aucun temps mort, le 'trip' ne s'achevant ainsi que dans la nébuleuse des derniers effluves de "Bionic Commune". Bien plus qu'une simple salle de chill-out, cet album se veut une expérience immersive, le ferment d'une projection mentale unique où l'imagination de l'auditeur lui-même se voit mise à contribution.

Tetsu INOUE propose ici un ambient organique et vivant. Même dans ses moments les plus tranquilles, ("Chill In Chill Out", "Ring of Power"), Organic Cloud contient toujours un petit rythme ou un loop, parfois à la limite de l'audible, greffé à l'ensemble, frémissement discret, mouvement sous-jacent qui vient sourdre sous la surface et troubler notre écoute. À une époque où l'outil informatique n'avait pas encore vraiment fait irruption dans le monde de la musique électronique, on ne peut qu'admirer le travail d'orfèvre réalisé par l'ami Tetsu, compositeur patient et acharné, qui produit sans doute ici son œuvre la plus aboutie.

L'album débute par un morceau très étrange, "The Night in Goa" à l'ambiance sinistre, rêve glauque dans la nuit indienne, alimenté par des boucles de voix lointaines et obsédantes. Après une dizaine de minutes, un rythme surgit soudainement des brumes étouffantes, venant nous surprendre au meilleur moment. Tetsu INOUE use du même stratagème sur "Journey to Ixtlan", titre aussi inhabituel dans sa discographie, psychédélique et vaporeux. La seconde partie du disque se montre plus contemplative, mais non moins intéressante : "Chill in Chill Out" et "Ring of Power" comptent parmi les plus belles compositions d'ambient des années 90, quand "Bionic Commune" conclut l'exercice de manière un peu plus rythmée.

Au même titre qu'Ambiant Otaku avant lui, Organic Cloud est une entrée incontournable du catalogue de Tetsu INOUE. Quelques années après sa sortie, notre Japonais s'étonnait en interview du petit succès qu'avait alors remporté cet album, enregistré à l'en croire très rapidement et gardé au frais par Pete NAMLOOK pendant plus d'un an. Pour un peu, Organic Cloud serait resté au fond d'un tiroir. C'eût été dommage, car il s'agit bien d'un disque flamboyant, une référence de la scène ambient des années 90.

(1) Sur ce sujet, Pete NAMLOOK s'est toujours montré très critique envers Brian ENO et son papier-peint musical.
(2) Comme pour Ambiant Otaku, l'album a d'abord été publié sous le pseudonyme d'ORGANIC CLOUD, avant de ressortir en 2003 sous le nom de Tetsu INOUE. Dans un souci de cohérence discographique, nous avons choisi de le classer ici comme tel.