S'asseoir et écouter bruisser la ville, puis faire de même dans son appartement, tel était l'un des menus plaisirs de Tetsu INOUE dans sa jeunesse. Plus qu'une source d'inspiration, son environnement sonore immédiat constituait aussi un matériau parfaitement exploitable. Dans le documentaire Modulations - Cinema for the Ear (1998), on peut ainsi le voir en train de consciencieusement enregistrer le bruit de son micro-ondes, du fax, du robinet, de la porte d'entrée ou encore de ses chaussures sur le parquet. Grand voyageur, le moindre de ses déplacements était aussi l'occasion d'enrichir sa collection de field recordings. Des 'sons acoustiques vivants' selon sa propre définition, qu'il s'employait ensuite à couper, assembler, moduler, avant de les incorporer à ses compositions. Sur World Receiver, il utilise alors des enregistrements récoltés dans plusieurs régions du globe, de l'Allemagne aux États-Unis, en passant par le Japon, la Thaïlande et le Pakistan. Orages, vent, forêts, villes, villages, voix, instruments traditionnels, une multitude de sons et d'ambiances filtrées, associés à de petites structures évolutives élaborées en studio.

Si vous vous attendez cependant à recevoir une série de cartes postales, une par pays, vous vous trompez lourdement. World Receiver est une vision d'ensemble, un monde appréhendé dans sa totalité. De cette façon, on ne sait jamais vraiment où notre avion se pose, dans une contrée qui nous paraîtra tout à la fois connue et inconnue. L'escale est néanmoins toujours brève. Cet album serait plutôt à l'image d'un satellite à la dérive, se déplaçant de manière aléatoire à travers nuages et brumes, captant ondes et images au gré de ses déplacements. Tetsu INOUE s'intéresse plus à l'aspect onirique du voyage qu'à la destination en elle-même. De fait, les field recordings utilisés ne s'imposent jamais au reste et c'est même parfois a posteriori, avec étonnement, que l'on prend conscience de leur présence.

Aussi répétons encore une fois que la musique d'INOUE n'est pas faite pour combler un vide. Écouter World Receiver d'une oreille distraite en faisant le ménage ou en préparant le repas, c'est s'assurer de ne rien y entendre. Dans la continuité de Slow and Low, ce quatrième album invite à une profonde méditation. Le Japonais nous propose ici sept pistes d'ambient ondoyant, où s'entremêlent d'éphémères lignes mélodiques à des soundscapes évanescents, mobiles, peuplés d'échantillons mystérieux et parfois même de glitchs, articulés avec douceur et sans hâte aucune. Chaque morceau construit, indépendamment des autres, son petit univers. "Inter Link" quitte les rues animées pour aller marcher sous les étoiles; "Elevator Drops" s'endort sous une nuée de papillons de nuit et "Health Loop" musarde dans la fraîcheur d'une soirée d'été. Mais il y a toujours, sous-jacente, une sensation notable d'irréel. "Background Story" et "Smile" flottent sur un océan d'onirisme, quand "Invitable Color" sombre dans les abîmes d'un monde microscopique et nébuleux. De même, Tetsu INOUE s'abstient de toute répétition. Ainsi "Mood Swing", par exemple, évolue sans cesse, passant d'une curieuse atmosphère humide à une contemplation apaisante.

Mais le plus étrange, c'est que même après des années d'écoutes attentives, on a toujours l'impression de ne pas réellement connaître cet album, comme si chaque expérience venait nous révéler un nouveau secret. World Receiver fait partie de la poignée de disques qui ne vieillissent pas et plus encore semblent n'appartenir à aucune époque. Référence absolue de l'ambient des années 90, il s'agit du chef-d'œuvre de Tetsu INOUE.