Quand 1985 sort en 1994 (oui, il faut s’habituer) pour tenter de renflouer les caisses, ENUFF Z’NUFF n’est pas inactif pour autant. Au contraire, cette même année, Vie et Z’Nuff enregistrent en deux sessions ce qu’ils projettent de sortir dans le cadre d’un double album. Le projet n’aboutira pas comme envisagé mais sous la forme d’un album de compos légères et enjouées à destination du marché japonais intitulé Brothers sous le nom Chip and Donnie* et d’un album plus sombre et rugueux qui pointera le bout de son nez en 1995 sous le titre Tweaked.

"Tweaked", ça se traduit par "défoncé" et le groupe ne botte pas en touche en abordant plus ou moins frontalement le sujet de la dépendance aux stupéfiants. On n’est pas loin du concept album et Donnie Vie se livre sans fard sur le combat qu’il mène contre ses démons. "Stoned" fait écho au besoin du chanteur de s’anesthésier du monde extérieur. Il le fait avec des drogues de plus en plus dures malgré la mise en garde de son compère bassiste dans la complainte acoustique "My Heroin" que ce dernier signe et chante seul (le bougre y prendra malheureusement goût des années plus tard. Au chant, hein ? Pas à l’héro. Lui est un grand consommateur d’herbe). Vie se retrouve dépossédé de sa vie sous l’emprise d’un énigmatique "Mr. Jones" (la drogue, le dealer ou toute chose exerçant un contrôle total, c’est selon). La dépendance à l’héroïne et les mauvais choix qu’elle entraîne est même racontée de façon glaçante dans "It’s 2 Late" (superbe) et on pense au Phil Lynott de "Got to Give it Up", chantant en pleine conscience la nécessité de décrocher tout en reprenant une dose pour aller droit dans le mur. Pas facile de garder espoir dans un monde où tout fout le camp ("Has Jesus Closed his Eyes ?").

On le voit, la thématique générale n’est pas rose, la production est dark et EZN se la joue même STONE TEMPLE PILOTS sur "Bullet from a Gun" et ALICE IN CHAINS sur "Life is Strange" (sans surprise les titres les plus faibles) avant que la vague Grunge ne retombe définitivement. Mais Tweaked n’est pas qu’une ordonnance pour antidépresseurs, pas besoin de se tirer une balle, la lumière est au bout du tunnel, c’est la conviction du chanteur dans un "My Dear Dream" sous belle influence McCartney. Pas de panique, "We’re All Alright", clin d’œil au refrain du "Surrender" de CHEAP TRICK.

Sur Tweaked, EZN a définitivement remisé la panoplie 80’s et affiche sa vraie nature avec à nouveau un talent de composition bluffant. Pas bégueule, Gino Martino est revenu au bercail et a remplacé le jeu flashy désormais daté de Frigo** par des interventions plus intemporelles mais pas moins habitées (ses solos sur "Stoned" et "How Am I Supposed to Write a Luv Song ?"). Le groupe s’essaie même au blues en contournant adroitement les poncifs du genre sur "Without your Luv" et "If I Can’t Have You". Bref, on a entre les mains de la belle ouvrage.

Fausse alerte, on voulait les enterrer trop vite, les corbillards du cortège funéraire de la pochette ne transportent pas les cercueils de Vie et Z’Nuff.

* Qui sera recyclé en septième album d’EZN sous le titre Seven en 1997.
** Frigo signe les solos de « Has Jesus Closed his Eyes » et « Style ».