Véritable icône des temps modernes, Lana DEL REY a toujours été acclamée pour sa capacité à capturer l’essence même de la nostalgie et de la mélancolie au travers de sa musique, et plus exactement de ses textes évocateurs souvent reconnus pour leur poésie. L’album Violet Bent Backwards Over The Grass où elle récite la moitié de ses poèmes parus dans le recueil du même nom sort durant l’été 2020 - alors que le monde entier est à l’arrêt - ne fait pas exception à la règle.

Pas étonnant donc que la chanteuse rassemble ses fans et les nouveaux venus qui prennent enfin le temps de la découvrir sur ce projet ou de retomber amoureux de sa discographie. Les quatorze titres choisis pour figurer sur l’album nous plongent dans le monde introspectif de Lana, au gré des textes écrits durant les trois dernières années et qui se posent habilement sur les productions de Jack ANTONOFF.

Le piano ouvre immédiatement "LA Who Am I To Love You" d’une langueur hypnotique et une Lana qui a besoin de découvrir qui elle est. C’est un sujet qu’elle aborde souvent de sa voix de velours bien sûr, particulièrement lorsqu’elle questionne son processus créatif à travers sa poésie, comme dans "Tessa DiPietro" notamment ou "Bare Feet On Linoleum" qui nous plonge dans le subconscient tendu de DEL REY, inquiétant et oppressant.

Le titre éponyme "Violet Bent Backwards Over The Grass", petit bijou d’à peine plus d’une minute, nous emmène dans une rêverie qui sonne comme une évidence, tant dans la forme que dans le fond. Point trop n’en faut, juste quelques mots suffisent parfois pour tout dire… et Lana en remet une couche sur "Past The Bushes Cypress Thriving", une piste sur laquelle la peinture et la romance se mélangent sans peine, c’est la suite logique de Norman Fucking Rockwell! (Standing stoic blue and denim/Eyes not blue but clear like heaven/You don’t want to be forgotten/You just want to disappear).

On l’entend ensuite dépeindre avec des métaphores comme des pinceaux aux couleurs flamboyantes un paysage brûlant de passion, de désir et de souffrance (This place feels like a person/Familiar/Like someone I’ve stood next to before) sur "The Land Of 1,000 Fires". DEL REY continue d’analyser l’amour et ses déboires sur des titres comme "Quiet Waiter Blue Forever" ou "What Happened When I Left You" (But who am I?/Just a girl in love dreaming on paper).

Entre piano et guitare, l’ambiance de "Salamander" se fait plaintive, presque exaspérée (I love you, but you don’t understand me, I’m a real poet!/My life is my poetry, my lovemaking is my legacy!), c’est le lot des poètes incompris. Les relations compliquées ne sont pas seules à entacher la tranquillité d’esprit de Lana. Comme on l’a déjà vu lors de ses deux précédents albums, c’est toute la société qui en prend pour son grade, tel que nous le prouve "Paradise Is Very Fragile" (My friend tell me to stop calling 911 on the culture, but it’s either that or I 5150 myself).

Mais finalement, c’est toujours cette quête d’identité qui revient ou plutôt le besoin de recadrer ce qui se dit, de rétablir qui elle est vraiment comme sur l’atmosphère de "Happy" et son piano rétro (People think that I’m rich and I am but not how they think/I have a truck with a gold key chain in the ignition/And on the back it says : happy, joyous, and free), l’un des meilleurs titres du disque, tout comme "My Bedroom Is A Sacred Place Now - There Are Children At The Foot Of My Bed" (The more I step into my poetry/The less I will fall into being with you). Avec la douceur d’une femme qui sait prendre son temps, la chanteuse y rejette le gaslighting qu’on a voulu lui faire subir, ou alors en plus français : refuse qu’on la décervele.

Si la poésie se veut le plus souvent belle, elle sert - encore aujourd’hui - à critiquer, à dénoncer, à faire voyager, à donner du réconfort, à stimuler l’imagination en couchant ses émotions sur le papier, mais surtout à se libérer. Et c’est exactement ce que fait Lana sur le sublime titre "SportCruiser", presque 7 minutes de bonheur octroyées d’un rythme sûr et vivant par celle qui sait désormais et sans aucun doute ce qu’elle fait ici (Because captains aren’t like poets/They don’t make metaphors between sea and sky/And as I thought that to myself, I realized/That’s why I write/All of this circumnavigating the earth, was to get back to my life/Six trips to the moon for my poetry to arise/I’m not a captain, I’m not a pilot/I write!).

DEL REY s’en remet donc à son art et à son destin : façonner l’abstrait des sensations de manière poignante pour répondre avec une fragilité évanescente aux grandes questions universelles, comme sur l’excellent "Never To Heaven" (The whys in this lifetime I’ve found are inconsequential compared to the magic of the nowness - the solution to most questions/There are no reasons).

Dans le monde des people qui se mettent à la poésie, l’album audio de Violet Bent Backwards Over The Grass offre une expérience unique de spoken word et demeure un jalon important dans la carrière de Lana DEL REY, toujours visionnaire et au plus proche de son art. On avait déjà vu la chanteuse déployer les nombreuses facettes de sa créativité et plus particulièrement la poésie dans ses courts-métrages Ride et Tropico, et même si cette fois nous n’avons 'que' ses textes, Lana sait néanmoins les réciter de sa voix apaisante sur une musique atmosphérique bien souvent réduite à l’essentiel pour nous faire réfléchir à notre tour. Il y a quelque chose de magique dans les poèmes de Lana, sa capacité à créer des images sur lesquels les émotions les plus profondes prennent vie et où chaque vers résonne avec une mélodie intérieure qui touche au coeur.