Elizabeth Grant en est déjà à son neuvième album solo et les foules sont folles d’elle. Le personnage de Lana DEL REY ne laisse personne indifférent, et les choix de la jeune artiste font d’elle un ovni dans le paysage musical de ces années 20. Comme ses chansons le laissent toujours deviner, la vie n’est pas simple : en fin d’année 2022, sa voiture est volée, contenant l’ordinateur sur lequel elle travaillait à son recueil de poèmes, des trames de chansons et deux années de photos familiales. Tout est perdu. On pense toujours trop tard au back up. On en est tous là, non ? Toujours est-il que cela influe sur son moral mais que l’album prévu sort tout de même dans les temps. La photo en noir et blanc dépeint une Lana préoccupée, tournée vers l’introspection d’un passé familial pas toujours simple.

Sur cet album hyper anticipé, toujours classique, complexe et profond (la suite logique du dernier album Blue Banisters sorti en 2021), elle nous parle de chagrin et de nostalgie avec la poésie qui la définit si bien. Clairement vulnérable mais aussi nuancée, elle nous offre avec ses ballades au piano et sa voix spectaculaire un petit bout de son monde. Comme toujours, on entre dans un univers qui lui ressemble : sombre, triste et beau. Cette fois, on s’éloigne un peu de l’American Dream qu’elle aime tant décrire pour quelque chose de plus calme et dans la réflexion. Le deuil (plusieurs décès dans sa famille), la perception des autres, les peines de coeur, la relation avec sa famille, son art. On peut difficilement faire plus autobiographique et délicat.

Toujours un peu fataliste sur les bords, on embarque avec elle dans son voyage intimiste entre trip-hop et soul à travers la fragilité de la vie pendant lequel le temps passe avec une lenteur captivante comme pour tester notre attention avant de terminer avec un peu plus d’optimisme.

Parmi mes chansons préférées, "A&W", une expérience quasi-religieuse de 7 minutes surprenantes en deux parties : la première avec sa voix de fée nue juste accompagnée d’une guitare acoustique qui nous raconte subtilement qu’elle a lâché l’éponge par rapport à ses anciens textes (It’s not about havin’ someone to love me anymore) en décrivant l’expérience d’être une American Whore avec une douceur tellement Lana puisqu’elle-même ne sait pas pourquoi elle est comme ça, elle sait juste que personne ne va la croire… avant de nous emporter dans la deuxième partie à coup de sons électroniques distordus un peu hip-hop et grunge dans un nouvel univers sombre qui rappelle Ultraviolence mais avec un mélange des genres et effets de voix incroyables. A travers cette chanson, elle arrive à représenter musicalement ce que c’est de se regarder dans un miroir et ne plus se reconnaître avant de perdre le fil.

Le chef-d’oeuvre "Kintsugi", safe space simplement dévastant mais qui rappelle qu’on doit laisser notre coeur se briser des millions de fois et accepter la cassure pour y laisser la lumière et la guérison entrer. "Fishtail", un titre au synthé planant tout simplement supérieur (I wish I could skinny dip inside your mind, oui, oui, oui !). "Fingertips", poème triste et vulnérable où elle rêve sa vie future sur un fond de violons lancinants ; "Candy Necklaces", une chanson qui hante et qu’elle ouvre avec une référence à "Cinnamon Girl" accompagnée du piano incroyable de Jon BATISTE ou encore le féérique "Paris, Texas" qui fait penser à une comptine de boîte à musique dans laquelle on se perd ou une entrée du journal de Sylvia Plath, écrivaine et grande dépressive.

Même si j’aurais aimé plus de son dans la vibe expérimentale de "A&W", on y a droit sur quelques titres (comme "Peppers", "Fishtail" et "Taco Truck x VB") mais surtout, on aime le chant de Lana, son souffle et ses chuchotements. J’adore qu’elle prenne le temps de faire quelque chose de tellement personnel et qui sorte de l’ordinaire comme peu d’artistes mainstream le font aujourd’hui. Elle ne s’embarrasse plus du format traditionnel qu’une chanson doit revêtir pour être commerciale et on retrouve bien la Lana artistiquement libre des débuts.

Si certains seront peut-être surpris du ton un peu plus monotone, avec cet album, on comprend qu’elle est dans une période d’introspection qu’elle vit pour elle. Elle semble écrire librement sa poésie en mouvement comme si elle n’avait même pas besoin d’y réfléchir, comme pour nous rappeler qu’on doit vivre ce qu’on ressent, que nos émotions sont là pour une bonne raison. Avec la métaphore du tunnel, le périple dans cet album débute comme un trip existentialiste qu’on commence en pleine lamentation, dans le noir, et où on se sent emprisonné en réalisant ce qu’on vit avant d’arriver au milieu de l’album et du tunnel. C’est sur ces titres qu’on commence à comprendre ce qu’on veut, ce qu’elle veut et pouvoir commencer à guérir avant de pouvoir sortir du tunnel dans la lumière avec la fin de l’album qui sonne comme un retour à la réalité surtout sur l’insouciant "Taco Truck x VB".

En résumé, 16 titres dont deux interludes (on est d’accord, on pourrait franchement se passer de l’interlude "Judah Smith", beaucoup trop malaisante) bourré de pianos merveilleux et d’écriture souvent déstructurée, toujours imprévisible, qui font sortir des frissons, des larmes et des émotions. Avec cet album qui s’écoute comme on accueillerait un secret, elle prouve encore une fois qu’elle sait toujours se réinventer tout en gardant son univers unique et tellement hors du commun. Une visionnaire.