Même si le coffre au trésor de LITTLE STEVEN est moins riche que celui de son capitaine Bruce SPRINGSTEEN, il n'a pas fini d'offrir de beaux joyaux ! Pas en 2015 en tout cas, alors que tant de choses se sont produites en vingt ans, les 'années cinéma et télé' de Steve Van Zandt qui l'ont poussé au rang de star, chose qu'il était déjà en musique. Aussitôt après son très discutable Revolution, quatrième album en 1989, il avait voulu revenir à un son rock avec son nouveau groupe garage nommé The LOST BOYS, et avait commencé d'enregistrer des chansons mais qui sont restés à l'état de démos. Les batteries programmées de ses troisième et quatrième albums subsistent ici pour un temps court (à se demander si tout n'est pas joué par LITTLE STEVEN en personne), mais déjà de façon beaucoup moins envahissante. Néanmoins, pour longtemps, de LOST BOYS, on pense à 'lost tracks', puisque ces démos vont dormir dans des tiroirs. En parallèle, il continue activement sa carrière de producteur/auteur-compositeur avec plus ou moins de succès (LONE JUSTICE, MEAT LOAF, le reggaeman nigérian Majek FASHEK).

Après avoir illuminé en 1992 la BO de Home Alone 2/Maman J'ai Raté l'Avion 2 par Chris Columbus (exemple de suite 'meilleure que le premier' et qui se passe à New York) avec un "All Alone for Christmas" massif chanté par Darlene LOVE (son premier tube depuis 1963 !), que LITTLE STEVEN produit en conviant tout le E STREET BAND - à l'exception du Boss, Roy Bittan et Nils Lofgren -, 1995 est l'année où notre artiste au bandana pose un premier pied solide dans le monde des écrans sous son seul nom. Il glisse sa ballade folk épique et très belle "The Time of Your Life" dans la partition (gérée par Hans ZIMMER) de la comédie romantique Nine Months/Neuf Mois Aussi de Chris Columbus encore et à franc succès, dans laquelle jouent Hugh Grant, Julianne Moore, Robin Williams, John Cusack et Jeff Goldblum.

LITTLE STEVEN y chante avec sa voix caractéristique, de façon sensible et entière, avec une ambiance ROLLING STONES plutôt classieuse et l'accompagnement du groupe BON JOVI. Se croisant souvent à Asbury Park comme toute la grosse scène du rock New Jersey, y compris SPRINGSTEEN, on se souvient qu'une telle association avait eu lieu, au moins pour Jon Bon Jovi et LITTLE STEVEN, sur le single caritatif instrumental de l'ex (et futur) comparse de ce dernier au sein du E STREET BAND, Max Weinberg, "Summer on Signal Hill" en 1991, avec d'autres stars. On voit tout le groupe du beau blond hardos dans le clip "The Time of Your Life", Richie Sambora jouant d'une mandoline dont LITTLE STEVEN pouvait fort bien se charger lui-même ! Et, parce qu'elle concerne l'expérience 'écran' de ce dernier avant d'autres opportunités plus belles encore, elle est incluse en 2015 à ce disque de démos, aussi parce que par rapport à "All Alone for Christmas", elle est dans une veine musicale similaire.

L'eau a coulé sous les ponts. Grâce au producteur David Chase qui croit en lui (au point de la vouloir en protagoniste, ce que l'intéressé décline), LITTLE STEVEN est devenu un des rôles les plus récurrents, du début à la fin, de la série The Sopranos/Les Soprano au succès colossal, mélange savoureux de mafieux à la Scorcese et de soap-opera très familal, le tout relevé aux arômes New York mais aussi New Jersey. Il y joue Silvio Dante, un des lieutenant/capos de James Gandolfini alias Tony Soprano, doublement chef de famille (celle du sang, et l'autre très 'italienne du sud', avec beaucoup de mouvements dans les deux). Le brave Silvio - rôle qui lui permet de singer ouvertement Al Pacino -, gère le Bada Bing, la boîte à strip-tease de Tony. Quand Les Soprano se terminent en 2007, on pourrait penser que LITTLE STEVEN en a fini lui aussi, mais non !

Fort de cette expérience, en 2012, il est premier rôle dans Lilyhammer, toute première série originale de Netflix, pour trois saisons seulement mais avec un succès des plus honorables également. Franck Tagliano, parrain mafieux de New York qui accumule les problèmes, choisit de s'exiler pour un temps en Norvège sous le nom Giovanni Henriksen, avec toutes les situations cocasses que cela comporte. En 2014 (année de fin pour la série), durant une tournée de SPRINGSTEEN et son E STREET BAND qui passe par Oslo, LITTLE STEVEN entonne "My Kind of Town" de Frank SINATRA en changeant les paroles dédiées à Chicago, U.S.A. de base pour placer l'ensemble à Lillehammer, Norvège de quoi offrir par la suite un bon single à succès dans l'une des patries au monde parmi les plus difficiles à cartographier (regardez donc cette forme, tous ces fjords !).

Ce qu'il faut savoir avec tout cela et concernant ce disque de démos, c'est que les cinq chansons qui le composent (à part "The Time of Your Life" donc) figurent toutes, à un moment ou l'autre, dans les bandes originales des séries The Sopranos et Lilyhammer. Rien que pour la première, les occasions de diffusion 'juste comme ça, pour le plaisir', n'ont pas manqué avec le club sexy nommé Bada Bing de LITTLE STEVEN/Silvio Dante, mais aussi celui appelé Crazy Horse (tiens tiens !) tenu par la sulfureuse Drea Di Matteo qui joue Adriana La Cerva (compagne du génialement insupportable Michael Imperioli en Christopher Moltisanti, un des autres lieutenants de James Gandolfini/Tony Soprano). Facilité ? Pas toujours quand on sait que ce sont et pendant longtemps des titres perdus, jamais sortis officiellement, à l'exception de "Affection", sur l'un des deux seuls et uniques CDs bande originale des Sopranos en huit-neuf ans d'existence. En outre, 2014 est aussi l'année de sortie du film Expendables 3, d'un genre nettement plus discutable, mais dans lequel, miracle, on entend "Come for Me", une autre 'lost track' de LITTLE STEVEN & the LOST BOYS !

Dès lors, il ne faut plus que ces démos soient perdues, même si à compter de 2015, ce disque réunissant des chansons vieilles de vingt-six années au moins ne connaît guère de diffusion appropriée. Heureusement, l'écoute légale permet de redécouvrir ce qui demeure effectivement des joyaux, pas seulement parce qu'ils sont perdus au fond du coffre d'un artiste généreux. "Nobody Loves and Leaves Alive", malgré sa boîte à rythmes (sachant qu'il y a bien plus dérangeant !) est un blues aux grands accords acoustiques et riff électrique claquant, un très bon titre que LITTLE STEVEN chante à sa manière, comme on l'apprécie, avec quelques choeurs par lui-même en prime. Ayant abandonné la politique pour l'occasion, il se concentre sur les relations femmes-hommes, au détriment de ces derniers ; les 'lost boys' ne seraient-ils pas les nouveaux 'men without women' ?

Ce qui nous donne des "Nobody's Baby" un peu l'écho de "Princess of Little Italy" (relativement toujours au premier album de LITTLE STEVEN en 1982), et "Affection", une des chansons bien illustrées par le visage et la silhouette sensuelles de Annabella Sciorra alias Gloria Trillo, maîtresse principale de Tony Soprano ! Si cette dernière garde un côté linéaire pour une mélodie porteuse et des guitares bien affûtées, la seconde (entendue dans Lilyhammer saison 3) tout aussi excellente joue sur le côté tranquille des couplets et de bonnes accélérations pour les refrains. Tout cela résonne à l'évidence comme les ROLLING STONES de l'époque Exile on Main Street, sans cuivres (que l'intéressé ne va pas tarder à faire revenir dans son monde, euphémisme !) et en plus 'carré'.

"Come for Me" reprend le ton blues tribal à la Bo DIDDLEY avec autant de classe que "She's the One" par le Boss SPRINGSTEEN quarante années plus tôt (fichtre !) même si on parle avec un regard de 2015. De quoi s'accorder avec l'esprit biceps-guerrier de Sylvester Stallone, Dolph Lundgren & co dans Expendables 3, même si elle avait également été jouée dans The Sopranos. Enfin, plutôt dans la sérénité de la côte californienne et pourvue d'efficacité, on a "Never Gonna Be Your Friend", autre exemple du talent de LITTLE STEVEN en tant que songwriter. Tout cela prolonge le plaisir laissé par l'album Born Again Savage (1999) au son très rock avec vrai groupe cette fois (Jason Bonham et, de U2, Adam Clayton) qui avait lui-même connu une gestation contrariée. De plus et toutefois, il est rare d'avoir autant l'impression d'une réunion de titres à fort succès potentiel, ne l'ayant pas obtenu car gardés secrets mais finalement éparpillés sur des oeuvres qui ont, elles, été de vrais rendez-vous pour le public, parfois la critique aussi, d'une renommée internationale. Un sacré personnage, ce Steve Van Zandt/LITTLE STEVEN. À chérir !