Parler de GLENMOR n'est jamais chose aisée, même pour un coeur breton 'de souche', profondément enraciné et militant. On touche au sacro-saint, quand bien même le chanteur derrière sa voix forte demeure réputé pour sa grande humilité ; on a peur de se tromper, de passer à côté de quelque chose, ce que les chroniques de notre érudit Jovial ont très bien su éviter.

Voilà pourquoi, après La Coupe Et la Mémoire (1979), Tristan Corbière 'le Paria' (1983) ainsi que la double compilation de ré-enregistrements Si Tu Ne Chantais Pas Pour Eux, À Quoi Bon Demeurer ? (1986), son dernier album Après la Fleur, le Fruit, Sous la Rose, l'Epine (1987), enregistré lui aussi au studio Kerousse près de Lorient, publié par Escalibur (une ramification du label Arfolk, qui a distribué les trois disques précédents susmentionnés), arrive à point nommé.

Nous sommes en 1987, au crépuscule de la carrière d'Emile Le Scanff/Milig ar Skañv, qui décide d'arrêter la chanson deux-trois ans plus tard ; de sa vie même, avant qu'un cancer ne l'emporte en 1996. Il s'agit d'un disque assez confidentiel et pour cause, moins engagé que les précédents, plus doux en apparence mais avec toujours quand même du mordant. Autour de GLENMOR, Gérard Pruvost et Christian Le Delezir, amis fidèles qui ont participé aux albums précédents (notamment Le Paria), Yann Goasdoué (des DIAOULED AR MENEZ), Christophe Sonnec (futur SOLDAT LOUIS), mais aussi et surtout l'incroyable Laurence Meillarec (Bernard BENOIT, MYRDHIN etc).

Elle aussi, régulièrement présente auprès de Milig depuis la fin des années 70, en alter-ego vocal féminin jouant des claviers, demeure l'une des musiciennes les plus talentueuses de Bretagne et n'est pas pour rien dans la tournure prise sur cet ultime album. Un album presque pop parfois, plus 'rose' mettant les relations amoureuses en avant dès le premier titre. "L'amour Est Fleur" et sa légèreté jazzy-folk, contrebasse, guitare acoustique, solo de flûte, rythmés par les choeurs sensuels de Meillarec, permettent au barde de parler d'un sujet universel à sa manière, beauté, mariage ; mais, en termes de rose, il rappelle que la fleur a ses épines !

En plus du piano et de sa voix en terrain parfois lyrique comme c'était encore le cas en 1979 ("Apocalypse"), Laurence Meillarec ajoute des sons de harpe celtique. Idem pour "Groñvel", un vieux classique de GLENMOR remontant aux années 60, ici réenregistré, mais la voix forte du poète écorché résonne comme à l'époque. Les fleurs et plantes contrastées reviennent dans le propos sur la nostalgique "Table Nouvelle", parcourue de piano tendre et de flûte, revêtue de batterie et de synthétiseur.

La vision peu angélique de l'amour et qui commence d'abord par les changements liés au temps, à l'âge, aux vicissitudes, se retrouve sur "Le Rire et les Pleurs de l'Eté". Une ballade à poésie saisonnière, très ancrée dans la Bretagne rurale (le Méné-Bré), morceau touchant où GLENMOR pèse ce stade de sa propre existante "et tu n'y peux rien", assure-t-il, sur fond de nappe, vibraphone, picking guitare, flûte virevoltante. "Les Amours Vulnérables", reprenant les synthétiseurs graves et classisants des années 78-79 offre de beaux monologue à voix rauque et constat amer quant au souvenir des "bouquets de nos embrasements", à l'encontre de cette "aube qui ne nous donne jamais raison", ce "temps d'une bien courte saison".

GLENMOR, avec "Ha Bec'h", rend grâce pour la dernière fois au brezhoneg, la langue de son pays, sur un enregistrement connu du moins. Sur ce morceau, en plus des cornemuses-synthé, Yann Goasdoué à la bombarde et le tambour écossais de Yann-Fañch Le Merdy (du Bagad Bleimor, proche d'Alan STIVELL), viennent donner une couleur musicale de bagad, pour une gwerz au ton glorieux. Un épithète qui convient fort bien ensuite aux "Larmes d'un Ami" et ses lointaines évocations de l'ami Jacques BREL, reporteur de faits réels, de réussites passées ; en un mot magistral. Dame Meillarec y offre encore une belle palette par des sons de clavecin, d'orgue sifflant.

"Au Chevet des Âges Tendres", piano et synthé-hautbois accompagnateurs, est encore une belle manière pour l'artiste de parler du temps, non sans délicatesse, tandis que le crépuscule s'installe avec la "Prière d'un Athée", solennelle et vibrante, conjuguant les mots "enterrement" et "noces de sang", avec de la bombarde et un orgue solennel dans la tradition la plus bretonne catholique.

Voilà un disque simple et peu connu mais joliment pensé et enregistré, avec des temps forts, massifs dans le propos mais toujours accessibles à qui voudrait découvrir GLENMOR, plus facilement que nombre de ses disques passés. Sans doute proche de sa nature humble, c'est comme si Après la Fleur, le Fruit, Sous la Rose, l'Epine, par un drôle de destin, se devait d'être le dernier. Une fois le poète envolé aux cieux ou bien où il veut, la mémoire entretenue par plusieurs artistes compatriotes, d'Alan STIVELL à Clarisse LAVANANT en passant par Laurence Meillarec elle-même (un album hommage en 2012), aide à continuer de le faire vivre d'une certaine façon.