Après un album intimiste (Between Us, 1979), Murray HEAD élargit son univers, et fait de nouveau appel à un grand nombre de « voix ». Même, on peut parler de rappel, car Voices n'est ni plus ni moins que le petit frère de Say It Ain't So, peu connu alors que sa qualité n'est certainement pas moindre.

Paul Samwell-Smith à la production, Alun Davies à la réalisation musicale, une équipe d'instrumentistes importante en nombre et diversifiée, comme six ans plus tôt... Nous sommes en 1981 et un parfum de nostalgie se dégage. Si les records de Say It Ain't So ne seront jamais égalés, Voices s'insère parmi les chefs-d'œuvre de HEAD. Sans appliquer la formule du tube imparable, l'ensemble des chansons se tient magistralement.

Ce sentiment de félicité est présent dès le départ. Peut-on espérer meilleure introduction que « Last Daze of an Empire » ? Cette ballade aux relents épiques, d'inspiration sudiste, est servie par les meilleurs musiciens du folk britannique : Pat Donaldson, Simon Nicol... La voix puissante de HEAD survole des nappes de synthétiseur brumeuses, tout comme la guitare électrique. Devinez d'ailleurs qui figure comme invité de marque ? Jeff Beck en personne.

Sachant qu'il offre ses services à trois morceaux sur dix, on ne peut que juger du soin apporté aux parties de guitare, et par extension au reste de l'arrangement. Si Beck brille naturellement sur « Last Daze of an Empire », il sublime les love-songs nostalgiques dont HEAD est coutumier, et qui n'ont rien à envier à celles des albums précédents. « Children Only Play (Do You Remember?) » évoque le premier amour lointain, « Affair Across a Crowded Room » le mariage rompu aussi vite que le coup de foudre est venu...

HEAD sait décidément y faire avec ces textes galants, comme des mets raffinés servis sur un plateau d'argent, ce dernier étant bien sûr représenté par les musiciens. Les tonalités jazz et country sont renforcées sur ce disque, respectivement sur les ballades « Time on the Line » et « Hey Lady ». Quoi de plus poignant que ce « On Your Own Again » très proche des standards folk de l'artiste, quoi de plus rafraichissant que « Time on the Line », exemple d'élégance et de « coolitude » absolues ?...

Le propos socio-politique adopté dans certains textes s'affirme dès le début de l'album, avec un « Last Daze of an Empire » cynique dédié aux soi-disant révoltés et militants qui laissent les autres combattre à leur place. Mais en amateur de contrastes, HEAD se fait plus incisif, aligne les images décadentes sur « Old Soho ». Forcément urbain, renvoyant au premier album du chanteur, Nigel Lived en 1973, ce titre dynamique est empreint de soul-rock, comme un clin d'œil à Bruce Springsteen. L'avalanche de saxophones et de voix n'y est pas étrangère. HEAD réunit pas moins de quatre noms issus de Fairport Convention, parmi lesquels le grand Richard Thompson.

En totale opposition, « A Tree » et son histoire présentée sous forme de fable (une jeune fille qui sculpte un homme dans un arbre, jour après jour, avant de se le faire dérober) sont interprétés de manière sobre et placent ce titre méconnu parmi les plus belles surprises. Le jeu plus modeste de Simon Nicol est un choix judicieux, tout comme les batteries électroniques de Dave Mattacks sur « Chance Encounter », au son plus dense, ou les cordes des frères Green sur « Affair Across a Crowded Room ». La touche folk irlandaise et les mandolines de « Going Home » concluent l'ensemble de manière aussi joyeuse que ses paroles sont désabusées, hantées par l'accent de HEAD.

C'est donc une réalisation peaufinée, comme l'a été Say It Ain't So en son temps, mais avec sans doute moins de contraintes, des orchestrations plus personnelles. Les synthétiseurs de Peter Veitch s'ajoutent de manière durable et heureuse au son folk de HEAD. Les grands noms affluent (Jeff Beck et Richard Thompson aux guitares solistes, excusez du peu !), les parties de batterie sont moins libres que sur Between Us mais demeurent efficaces, tout comme les basses de Dave Pegg et Pat Donaldson qui figurent au premier plan, à défaut d'être aussi bavardes que celle de John G. Perry. Les chœurs féminins sont plus beaux que ceux de Say It Ain't So et collent de près aux mélodies, tout comme la voix du principal intéressé. Un travail d'orfèvre, à contre-courant.