1984 est l'année qui voit Murray HEAD renouer avec le succès international, grâce à sa participation à la comédie musicale Chess et son fameux tube « One Night in Bangkok ». Pour l'heure toutefois, le plus français des chanteurs britanniques continue son chemin en soliste avec une production fluide et un rythme de publication constant, ce qui ne durera pas davantage.

Restless (« nerveux ») s'inscrit dans la continuité d'un travail de chansons relativement calibrées, de plus en plus ancrées dans leur époque – mais, comme certains le disent en soupirant, en 1984, il n'y a plus de miracle. Allons, reprenez-vous ! Certes, la pochette et l'artwork sont dans le ton, musicalement on perd ici l'intimité qui faisait encore la force de Shade, on s'éloigne grandement de la tonalité folk classieuse de Voices, mais il n'y a pas que ça.

La réverbération se fait mieux ressentir dans les ambiances sonores, mais celles-ci proposent toujours quelques moments de grandeur où HEAD et ses musiciens habituels, Palmer, Veitch et Richardson nous surprennent à chaque début de phrase, ou presque. « Peril in Venice » fait écho à « Shades of the Prison House » pour son humeur maussade, avec un plus grand dynamisme. On retrouve le penchant de l'auteur HEAD pour des mots imagés, une touche décadente qui l'amène à citer Oscar Wilde.

C'est aussi, de manière générale, l'époque où tous les artistes nourris de Black Music (blues, soul, funk...) américaines redécouvrent -et leur public en même temps- les racines africaines traditionnelles de ces musiques, grâce à l'ouverture politique et culturelle, en particulier musicale, qui débouchera sur le Live Aid quelques temps plus tard. HEAD n'échappe pas au mouvement : trois chansons de Restless sont inspirées par l'Afrique.

Cependant, « Mario » et son thème de la corruption sur fond de musique festive (ah, ces synthés-cuivres comme on n'en fait plus... heureusement ?) s'éloigne des deux autres, « African Tourist » et « Salvation (Missionary Madness) ». À grand renfort de choeurs et de bruitages traditionnels, HEAD mentionne les ravages causés par les Blancs au cours des siècles sur le continent demeuré le plus pauvre de la planète. Particulièrement poignant, « African Tourist » illustre un safari bien morne...

Le reste des morceaux est plus strictement pop et rock, nous offrant un groupe en grande forme. Lorsque Murray HEAD parle de l'amour et que la musique prend une légèreté funky, on ne peut qu'adhérer (« When You're in Love »), et quand le tout se change en gravité, c'est au moins autant le cas : « Hold Me », avec un arrangement de cordes magistral (participation de Simon Jeffes, du Penguin Cafe Orchestra).

« Modern Love » et « I Don't Care » sont lancés sur des tempos rock intéressants et communicatifs, permettant au chant de renouer avec une plus grande rugosité. La chanson où les mots collent parfaitement à la musique reste « Catching Eddie At It », avec ce petit quelque chose d'unique à travers l'arrangement, et pas seulement pour ces lignes de piano complètement hors du propos de la chanson. Étrange, mais superbe !

Restless est un bon album, avec une part de chansons du même acabit et d'autres excellentes. La réalisation est parfois un brin erratique, et de toute évidence, c'est la couleur globale qui rend l'effet de séduction moindre par rapport aux efforts précédents. Néanmoins le talent est toujours là, et, au moins pour « Hold Me », « African Tourist », « Catching Eddie At It » et « Peril in Venice », cela vaut le détour.