Amon TOBIN l’a déjà prouvé à maintes reprises : il n’est pas homme à se reposer sur ses lauriers. On compte à son actif plusieurs excursions courageuses dans les contrées sauvages de l’abstract hip-hop (TWO FINGERS) et de la B.O. de film (Taxidermia). Quoi de plus logique alors, que de retrouver le DJ brésilien hors des sentiers battus sur son nouvel EP Dark Jovian ? L’intéressé l’avoue lui même dans le texte de présentation du vinyle : Dark Jovian est le fruit d’une lubie soudaine pour les films d’exploration spatiale et leurs bandes originales.

Vous pouvez dire adieu aux rythmes échevelés et aux textures minutieuses des albums précédents : la musique présente sur l’EP est toute entière dédiée au cosmos et à ses corps gigantesques, suggérés par de longues plages de synthés. Amon TOBIN s’est plongé à corps perdu dans l’ambient, convoquant les mânes de TANGERINE DREAM et de la B.O. de l’Odyssée de l’espace. Le compositeur phare de cette dernière, le Hongrois György LIGETI, est une source d’inspiration évidente. Les huit titres que comporte Dark Jovian connaissent peu de changements brusques ; l’évolution de la trame sonore est toujours subtile, défiant la concentration de l’auditeur.

Le morceau-titre remplit efficacement son rôle de porte-étendard. Le souffle sourd des effets électroniques semble envelopper l’espace tout entier. Les boucles pesantes qui s’insèrent çà et là ne sont pas sans évoquer les meilleurs passages des derniers albums de DOPPLEREFFEKT. Amon TOBIN laisse respirer ses effets en ménageant des silences impressionnants, pour mieux suggérer l’incommensurable. Il faut écouter Dark Jovian dans une grande pièce aérée, les yeux fermés, sans casque, pour se laisser envahir par les vibrations des basses.

Contemplative, la musique d’Amon TOBIN sait l’être aussi. L’éthéré « In Your Time » est le morceau-clef de l’EP, avec ses atours mélodieux qui invitent à ne pas se laisser intimider par les monolithes qui l’entourent. « Adrastea Contact » et ses rythmiques légères sont également là pour préparer le terrain avant la plongée dans l’inconnu que représente l’enchaînement « Io »/« Encounter on Io ». La première partie du diptyque figure la lente descente d’une sonde vers le satellite de Jupiter. Le petit appareil glisse avec précaution vers la surface, ballotté par l’atmosphère aride de Io. « Encounter on Io », la seconde partie, évolue dans un tout autre registre. Les nappes de synthé se font semblables à des chœurs féminins ; les effets acquièrent une texture quasi-organique : la sonde est tombée nez-à-tentacule avec une forme de vie extraterrestre !

Au lieu de s’achever sur cette découverte, l’EP offre encore trois remixes, qu’Amon TOBIN a confiés à de jeunes musiciens. Lee GAMBLE offre une relecture plus lunaire d’ « Encounter on Io », avec des sons étouffés, glacés. Les morceaux de LOGOS (« Adrastea Contact ») et EPROM (« In Your Own Time ») s’écartent de la ligne directrice de Dark Jovian : les rythmiques sont plus incisives, les atmosphères plus variées (industrielle, orientale). Une réussite, dans les trois cas.

Il est rare qu’un EP propose un tout aussi cohérent et réfléchi, à tel point que l’on peut regretter que ce nouveau projet n’ait pas débouché sur un long format. Amon TOBIN démontre une fois de plus que son talent possède de multiples visages. Un EP à découvrir, surtout pour ceux qui croient connaître le DJ brésilien par cœur.