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AYREON - The Theory Of Everything (2013)
Par LONG JOHN SILVER le 23 Février 2017          Consultée 3812 fois

Si entre 1995 et 2004, Arjen Anthony Lucassen a presqu’exclusivement travaillé l’univers d’AYREON, son projet conceptuel autour d’une saga apocalyptique SF, celui-ci a ensuite levé le pied. Pour un tas de raisons dont certaines, d’ordre strictement personnel, l’ont même éloigné – un temps – de la musique. Il en a surtout profité pour s’occuper de side-projects, plus ou moins durables, et pour sortir aussi en 2012 un (second) disque sous son seul nom*.
C’est dans sa foulée que le géant Hollandais s’est lancé dans l’enregistrement de ce qu’il conçoit dès le départ comme le nouvel album d’AYREON. Sans qu’aucune ligne, un tant soit peu directrice, ait été tracée au préalable. Une façon inhabituelle de travailler pour Arjen Lucassen qui dit avoir eu envie de spontanéité pour réaliser cette suite. À nouveau une œuvre complexe de musique progressive, fichtrement bien emballée (Quelle pochette ! Le son est nickel.) qui mérite qu’on s‘y attarde afin de bien la saisir.
Commençons par ce qui fait le moteur de cet album : son histoire. Imaginée par Arjen et finalisée avec l’aide de sa compagne, l’Américaine Lori Linstruth**, The Theory Of Everything n’entre pas dans la lignée des récits SF (plus ou moins) basés sur les annonces d’un ménestrel aveugle du haut moyen-âge. Son action nous est contemporaine, jusque dans les décors qui l’entourent : un labo, une école, un cabinet de médecin, un phare. Oui, un phare. Il s’agit de l’allégorie du labo du scientifique édifiée à partir d’un endroit conçu pour éclairer les égarés pris par l’obscurité, notamment pendant les tempêtes les plus déchaînées. The Theory Of Everything n’est donc pas un récit de science-fiction mais une fiction qui se déroule dans le monde de la science. Où un éminent physicien délaisse femme et enfant psychotique, entièrement absorbé qu’il est par ses recherches dévolues à la découverte d’une équation, la mère des formules physiques, j’ai nommé : la Théorie du Tout. Autant un Graal qu’un anneau de pouvoir. Par bien des aspects, The Theory Of Everything rappelle The Human Equation – on pense (aussi) à ce petit bruitage séquencé en toute fin d’album, il s’agit d’un thriller relationnel où la dimension psychanalytique des enjeux, les choix effectués par l’auteur pour animer l’intrigue, sont ceux qu’on retrouve dans les fables, les mythes ou les contes.

Comme toujours chez Lucassen, les personnages sont ici désignés par leur fonction principale : Father, Mother, Prodigy, Teacher, Rival, Girl et Psychiatrist. Seulement sept rôles, le nombre est néanmoins symbolique. Le père Arjen avait pris l’habitude d‘impliquer plus de personnages dans ses récits. Il restreint volontairement sa distribution afin de resserrer son propos. Vous l’aurez déduit en consultant la liste des rôles, il se trouve un prodige dans l’histoire, le fils du physicien (réduit ici à sa condition de père) qui ignore son rejeton. Or celui-ci souffre d’un syndrome autistique profond (« Prodigy’s World ») mais va tout de même à l’école. Rival et Girl sont ses camarades de classe. Un jour, son maître se rend compte que le gamin est un génie des mathématiques (« The Teacher’s Discovery »). À partir de là, tout va déraper, chacun imaginant de quelle manière il va pouvoir tirer parti du potentiel de l'enfant. Je précise bien : chacun. Mais aucunement chacune. Il n’y a que deux rôles de femmes dans cette histoire. Or celles-ci brillent par leur bienveillance autant que par leur totale incapacité à empêcher les hommes de faire leur désarroi (« Mirror Of Dreams »). Difficile pour elles de s’opposer dans un monde où les mecs ont besoin de reconnaissance (Teacher), où ils poursuivent avidement leur quête, fût-ce avec l’idée de progrès pour essence (Father, Prodigy). À la jalousie, l’envie et la cupidité d’un autre (Rival). Surtout si un éminent médecin/chercheur (Psychiatrist), assez peu scrupuleux en terme de protocole expérimental, en vient à tester de nouvelles drogues sur le jeune Prodigy (« Dark Medicine »). Cela est rendu possible avec l’accord de Father qui agit contre la volonté de son épouse, naturellement opposée à ce qu’on mette la santé de son fils en péril. Se joue une course contre la montre. Le prologue du disque est pour partie son épilogue : des inscriptions scientifiques sont retrouvées sur un tableau noir, alors que Father et Prodigy ont expiré. L’énigme, ils l’ont résolue, on l’a compris d’emblée (« Prologue : The Blackboard »). L’histoire se déroule sur plusieurs années, mais le final (« Blackboard (reprise) ») laisse plus de questions en suspens qu’il n’apporte de résolution. On bascule dans une autre dimension, on se quitte au moment où l’intrigue glisse doucement en direction du genre fantastique. Avec le bruitage/rembobinage faisant songer au Dream Sequencer qui se pose en coup de gong final.

Pour donner vie à ses personnages, Lucassen a recours à sept vocalistes – dont aucun n’apparaissait sur un album précédent d’AYREON. Certains sont –plus ou moins- établis dans l’univers du metal, qu’il soit symphonique (Marco Hietala/NIGHTWISH, Sara Squadrani/ANCIENT BARDS), prog (Tommy Karevik/KAMELOT), neo/gothique (Cristina Scabbia/LACUNA COIL) ou heavy (JB/GRAND MAGUS). Viennent se greffer au casting un outsider (Michael Mills/TOEHIDER, groupe australien porté sur l’éclectisme) et un vétéran respectable tous terrains qu’on ne présente plus (John Wetton/de KING CRIMSON à ASIA). L’action se déroule en quatre phases de plus de vingt minutes chacune : Singularity/Symetry/Entanglement/Unification. Partant du postulat que Lucassen s’est laissé guidé par son instinct et a tout enregistré dans l’ordre chronologique d’un script développé au fur et à mesure du processus d’enregistrement, la musique d’AYREON s’en va au gré de ses digressions et recherches. D’autant que le nombre limité de rôles permet à Lucassen de maintenir cohérence – certains thèmes sont d’ailleurs repris, développement et souplesse stylistique. L’ensemble n’est clairement pas composé de suites de chansons, chaque sous partie de phase débouchant sur une autre sans qu’on puisse déceler le plus souvent d’enchaînement de couplets/refrains entre deux. Lucassen délaisse son penchant pour la pop, en revanche ses influences classiques se font plus évidentes, mais également –plus inattendu- celles contemporaines (« String Theory »). La musique folk ancienne revient itou. On reconnaît bien la signature du Hollandais.
On pourrait aussi avancer que depuis The Human Equation, le gaillard a fixé ses repères. Jeroen Goossens (instruments à vents), Ben Mathlot (violon) et à présent Maaike Peterse (violoncelle) font partie des habitués de l’univers d’Arjen, leur empreinte est familière. Cependant, Lucassen complète ce trio avec le britannique Troy Donockley (cornemuse, flûtes/NIGHTWISH). Son apport permet de faire évoluer la texture sonore maison. À l’instar de la formidable pochette peinte par Jef Bertels (son Roger Dean à lui), Arjen Lucassen procède par touches impressionnistes en enchaînant de courtes séquences et en faisant appel à des musiciens extérieurs afin d’enrichir sa palette. C’est ainsi que sont -ponctuellement- mis à contribution les prestigieux instrumentistes invités. Keith Emerson (EMERSON, LAKE & PALMER) et Jordan Rudess (DREAM THEATRE) se livrent à un duel de moog à distance (« Progressive Wave ») des plus convaincants. Rick Wakeman se présente de fort jolie façon dès lors qu’on l’entend au piano (« The Theory Of Everything, Part 1 ») puis nous replonge dans le tourbillon des soli de claviers du YES millésimé par deux fois (« Diagnosis » et « Surface Tension »). Surtout, Steve Hackett (GENESIS) enquille un solo lumineux (« The Parting ») sur une plage spécialement aménagée pour son jeu. Il signe ici LE solo de l’album.

On pourrait discuter longtemps des choix effectués pour illustrer cet univers fait de combats de coqs aux crocs d’acier et aux esprits distordus. Aussi, un univers où un père (Michael Mills) possède une voix qui semble plus immature que celle de son enfant psychotique (Tommy Karevik). The Theory Of Everything est une fable dont les personnages possèdent des traits « over the top ». Ainsi, lorsque retentit pour la première fois l’organe grave et profond de John Wetton, on est transi par son arrivée (« The Consultation »). Hietala ne s’économise pas non plus dans son rôle de Iago*** des temps modernes (« Magnetism »/ « Quid Pro Quo »). Parmi les rôles principaux, ce sont cependant ceux légèrement en retrait qui impressionnent le plus. Outre Wetton, qui nous régale en « guest star deluxe », Cristina Scabbia interprète une Mama impeccable, capable d’éruptions comme de douceur protectrice (« Diagnosis »/ « The Argument 1 »). JB incarne un professeur charismatique, à la voix posée, pleine de l’autorité que lui confère son statut de guide (« The Teacher’s Discovery »). Les dialogues/monologues/joutes entre les personnages sont souvent réglés avec la ferveur épique des combats intergalactiques, mais reposent aussi sur des thèmes plus intimistes où la tension reste néanmoins larvée. Ce qui permet une alternance d’atmosphères captivante(s). C’est ainsi qu’à partir de références solidement ancrées et digérées (PINK FLOYD, RAINBOW, JETHRO TULL, The WHO****, etc) ou si on se réfère à ce qui semble établi pour AYREON avec The Human Equation, Lucassen parvient à nous faire passer une heure et demie pendant laquelle l’espace/temps se conjugue au travers d’une œuvre chorale portée par d’incroyables mélodies autant que par des breaks acrobatiques pris entre deux envolées homériques. Notons qu’ici, le géant batave n’a pas opté pour l’empilement de couches instrumentales ou vocales comme il avait tendance à le faire sur les précédents opus. L’album sonne plus vintage, moins metal qu’à l’accoutumée. De fait, ce qui aurait pu devenir une pièce trop consistante, bourrative, surlignée, gagne une légèreté quasiment inédite pour AYREON. Lucassen est en état de grâce, il parvient à rester sur le fil. Sur la frontière qui sépare le fou du sage. Car au fond : tout est dans tout et inversement.

PS : Sur cet album publié en 2013, figurent parmi les toutes dernières contributions à la musique de Keith Emerson (1944-2016) et de John Wetton (1949-2017).

* Lost In The New Real 2012 succède à Pools Of Sorrow, Waves Of Joy publié en 1994
** Également (ex ?) guitariste de STREAM OF PASSION, GUILT MACHINE et AYREON
*** Personnage machiavélique de la pièce Othello de Shakespeare
**** Si l’histoire de l’enfant hors normes fait penser à Tommy, le bruit introductif et conclusif de la vague est une référence à Quadrophenia.

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   LONG JOHN SILVER

 
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- Tommy Karevik (the prodigy)
- Michael Mills (the father, bouzouki irlandais)
- Cristina Scabbia (the mother)
- Jb (the teacher)
- Marco Hietala (the rival)
- Sara Squadrini (the girl)
- John Wetton (the psychiatrist)
- Wilmer Waarbroek (choeurs)
- Arjen Anthony Lucassen (guitare, basse, claviers)
- Ed Warby (batterie)
- Jeroen Goosens (instruments à vent)
- Ben Mathot (violon)
- Maaike Peterse (violoncelle)
- Troy Donockley (instruments à vent)
- Rick Wakeman (piano sur 1/2, clavier solo sur 1/13 et 16)
- Ketih Emerson (clavier solo sur 1/7)
- Jordan Rudess (clavier solo sur 1/7)
- Steve Hackett (guitare solo sur 2/13)
- Siddharta Barnhoorn (orchestrations)


- cd1
- phase 1 : Singularity
1. Prologue : The Blackboard
2. The Theory Of Everything Part 1
3. Patterns
4. The Prodigy's World
5. The Teacher's Discovery
6. Love And Envy
7. Progressive Waves
8. The Gift
9. The Eleventh Dimension
10. Inertia
11. The Theory Of Everything Part 2
- phase 2 : Symetry
12. The Consultation
13. Diagnosis
14. The Argument 1
15. The Rival's Dilemma
16. Surface Tension
17. A Reason To Live
18. Potential
19. Quantum Chaos
20. Dark Medecine
21. Alive !
22. The Prediction

- cd 2
- phase 3 : Entanglement
1. Fluctuations
2. Transformation
3. Collision
4. Side Effects
5. Frequency Modulation
6. Magnetism
7. Quid Pro Quo
8. String Theory
9. Fortune ?
- phase 4 : Unification
10. Mirror Of Dreams
11. The Lighthouse
12. The Argument 2
13. The Parting
14. The Visitation
15. The Breakthrough
16. The Note
17. The Uncertainty Principle
18. Dark Energy
19. The Theory Pf Everything Part 3
20. The Blackboard (reprise)



             



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