Il m’arrive, dans un élan de curiosité, de m’atteler à des sorties récentes parmi les productions dites "mainstream". C’est ainsi que, encouragé par les retours positifs sur SensCritique, je me suis intéressé à Dawn FM dès sa sortie. Je dois reconnaître d’entrée de jeu ne pas du tout être le mieux placé pour juger cet album, ne connaissant de THE WEEKND que cet album et m’abstenant d’habitude de mettre les pieds dans ce genre de disques. Mais tant pis, j’ai ouvert la boîte de Pandore, allons-y de plein pied.

Au début de l’écoute, on sent que Dawn FM n’est pas banal. La production est exubérante et colorée, les compositions font montre d’ambition, bousculant les ambiances et la structure couplet-refrain, non simplement juxtaposées mais s’enchaînant plus ou moins étroitement. L’ensemble de l’album est parcouru par des transitions brèves – qui ne constituent pas forcément des pistes à part entière – sous forme de jingles radiophoniques, parfois accompagnées par Jim CARREY, qui lui confèrent un récit, une structure.

La première moitié est la plus orientée dance, au sens large, opérant une synthèse du Disco seventies pour le beat et les enchaînements de morceaux, du Funk eighties pour les harmonies et la voix, du Hip-Hop et de l’électronique pour certains choix de sons – des courants qui étaient déjà largement irrigués de la pop des décennies précédentes. Le tout bien entendu revu et corrigé selon les canons actuels, en atteste l’impressionnante plâtrée qui fait figure d’équipe de production. Le signe le plus manifeste en est l’Auto-Tune, qui nivelle systématiquement la voix d’Abel Tesfaye.

Avoulons-le, cette première moitié est d’une efficacité indéniable. Les singles fédérateurs "Gasoline" et "Sacrifice", la ballade "Out Of Time", et surtout l’impressionnante doublette "How Do I Make You Love Me?" - "Take My Breath", nantie de breaks de tueur, de ponts planants, d’harmonies entêtantes. Sans oublier bien entendu l’ouverture liminaire ainsi que "A Tale By Quincy", récit autobiographique du légendaire producteur américain. Malgré l’Auto-Tune en mode pop, malgré les gimmicks eighties qui se voient comme le visage au milieu de la figure qui donnent un côté Funk Soupline à l’ensembe, l’alliage fonctionne et j’assume me laisser embarquer par l’habileté de ce travail, et même je trippe ma race sur certains passages ("How Do I Make You Love Me?").

"Out Of Time" s’achève, et… plus rien. Black-out, sirènes, plan rouge. Le gouffre s’ouvre sous nos pied et l’album sombre dans un carnage total. Jusque-là, les gimmicks eighties endiguaient les vilains tics de productions endémiques au calibrage pop actuel. Mais dès "Here We Go… Again", les digues sautent et c’est la porte ouverte à toute la misère musicale possible et imaginable. Un brusque appauvrissement de la composition, des effets de filtre à tire-larigot, des effets sonores sans queue ni tête. Et surtout, oh bon sang, cet Auto-Tune atroce, immonde qui force une pseudo-virtuosité pernicieuse et agressive. Quelle horreur… Voilà la clé du désastre. Tous ces effets de prod’ privent les chansons de toute authenticité et annihilent du même coup tout le potentiel (considérable) des compositions. "Is There Someone Else?" nous achève de cette insupportable voix déformée façon hélium, m’est avis que Alvin et les Chipmunks opèrent en fraude. Je ne sauve de cette seconde moitié que le stroboscope d’ambiances qu’est "Every Angel Is Terrifying" et le conclusif "Phantom Regret". Tout le reste : poubelle.

Les réécoutes n’y ont rien fait. Dawn FM me conforte dans l’idée d’un album préfabriqué, faux, creux, à peine sauvé du naufrage par des idées intéressantes et la poudre aux yeux de la prod’. D’où l’interrogation : les crédits longs comme le bras (doigts compris) et la production boursouflée à mort (Abel Tesfaye est passé sous Auto-Tune même en concert) laissent songeur quant à la réelle implication artistique d’Abel Tesfaye là-dedans.