Il y a des artistes qui semblent clairement s’éclipser de l’éther et The WEEKND est résolument l’un d’entre eux, pour sa manière de donner forme à une carrière phénoménale tout en conservant son identité sans jamais avoir l’air de souffrir d’épuisement créatif. Avec Dawn FM sorti en début d’année 2022, le chanteur reste dans la même veine que ses deux précédents albums Starboy et After Hours et leur son 70s-80s disco remarquable qu’il pousse à son paroxysme sur cet album. Depuis les débuts, il nous montre que son génie est de savoir construire des mondes qui savent nous attirer et nous retenir à l’intérieur. Attachez vos ceintures car le voyage commence et la destination sera sans aucun doute un univers parallèle.

Dites au revoir au rnb-hiphop classique de strip clubs de ses premiers disques puisqu’on ressentira l’influence de son travail avec DAFT PUNK sur Starboy. Dawn FM, son 5ème LP produit en majeure partie par SWEDISH HOUSE MAFIA et Max Martin dont ce dernier était déjà présent sur After Hours, est la continuation parfaite de ce dernier projet. The WEEKND nous livre des hits qui bougent dans la première partie puis, une fin plus calme, réfléchie et qui fait réfléchir. C’est un album robuste qui ressemble à un film immersif de science-fiction posé sur un univers dystopique, et comme toujours, le chanteur sait nous emmener tour à tour dans un état d’euphorie à un monde noir et dangereux. Le CD contiendra même une narration par l’acteur Jim Carrey, canadien lui aussi comme The WEEKND, sur trois titres, "Dawn FM", "Phantom Regret By Jim" qu’il a écrit et "Out Of Time" où il délivre ses pensées pleines d’inspiration sur la vie (How many grudges did you take to your grave ?/When you weren’t liked or followed, how did you behave ?). La rencontre des deux performers, amis depuis 2020, sera même marquée par l’apparition de Jim dans le clip de "Out Of Time" dans lequel on le voit en chirurgien greffer un masque sur le visage du chanteur, une référence au film The Mask qu’Abel Tesfaye a.k.a. The WEEKND a toujours adoré.

L’album a l’air d’être divisé en deux partie, la première très portée sur des chansons pour faire la fête suivie d’une introspection de Quincy JONES sur "A Tale By Quincy" qui motive The WEEKND à accepter son destin et à essayer de changer. Le chanteur décrira le projet comme un état de purgatoire où l’auditeur serait mort et en train d’attendre dans sa voiture de pouvoir traverser le tunnel avec le présentateur radio qui le guide jusqu’à la lumière. Il dira même que l’album peut être aussi festif que morne mais que c’est une ascension vers le paradis.

L’expérience débute lorsqu’on rejoint "Dawn FM" et ses synthés apocalyptiques, suivi de "Gasoline" plein de contraste entre un côté sombre et groovy et qui exprime bien la tentation et l’addiction sur fond de nihilisme, comme il le dit lui-même (It’s only safe for you and me/I know you won’t let me OD/And if I finally die in peace/Just wrap my body in these sheets/And pour out the gasoline/It don’t mean much to me/It’s 5 a.m. I’m nihilist/I know there’s nothing after this). On vire ensuite sur un son plus disco pop sur "How Do I Make You Love Me ?" et ses synthés aux sonorités vintage. Comme sur tous ses albums, The WEEKND nous fait cadeau de transitions incroyables, comme c’est le cas sur le titre suivant, "Take My Breath", un tube funky au mix dance sur lequel on ressent bien les vestiges de sa collaboration avec DAFT PUNK.

Le chanteur a beau chasser le naturel, il reste toujours super toxique dans ses relations comme sur le brillant "Sacrifice" et ses batteries obstinées. Cette réalisation sur sa manière d’agir en amour est soutenue par l’interlude "A Tale By Quincy" où le trompettiste raconte l’impact qu’a eu l’absence de sa mère sur sa vie et ses rapports aux femmes. S’en suit la ballade disco-rnb "Out Of Time" et son ton très Mickael JACKSON puis la chanson d’amour un peu triste "Here We Go… Again" en collaboration avec Tyler THE CREATOR.

Les trois prochaines tracks montrent bien l’évolution et le changement amorcé par le chanteur puisqu’il préfère rester dans la friendzone sur le titre sexy "Best Friends". Dans "Is There Someone Else ?", il montre son côté fragile alors qu’il se retrouve dans une situation inverse à celle don’t il a l’habitude (I don’t want to be a prisoner to who I used to be/I swear I changed my ways for the better, the better/‘Cause I wanna be with you forever, forever/Oh, is there someone else or not ?/‘Cause I wanna keep you close/I don’t wanna lose my spot/‘Cause I need to know/If you’re hurting him, or you’re hurting me). Il dira encore ses remords et montrera qu’il est enfin disponible émotionnellement pour sa moitié dans le cinématique "Starry Eyes".

Même les voyages intergalactiques ont besoin d’une courte page de pub (et oui, l’espace est aussi une société capitaliste), prodiguée par "Every Angel Is Terrifying". The WEEKND et sa voix profonde imploreront "Don’t Break My Heart" à sa conquête en espérant d’être épargné et fera son sentimental en duo avec Lil WAYNE sur "I Heard You’re Married" et son outro tout en fade out 80s. On termine sur l’orchestral "Less Than Zero", une chanson à la pop attrayante et qui a du peps bien qu’elle décrive les pensées noires qui habitent le chanteur. Le voyage s’achève sur "Phantom Regret By Jim" et un peu de sagesse sur cette expérience (Were you ever in tune with the song life was humming ?/Heaven’s for those who let go of regret) et rappelle au voyageur comment accéder à la lumière (Consider the flowers, they don’t try to look right/They just open their petals and turn to the light).

Au gré de ces 16 titres, The WEEKND prouve qu’il est en train de grandir et de devenir le nouveau king of pop comme il l’espérait depuis ses débuts. Celui qui avait déjà les couilles de faire bifurquer son r'n'b en 2016 dans une transition ultra subtile vers un univers dance se rapprochant de plus en plus à la vibe 80s de Stranger Things peut se targuer d’inspirer aujourd’hui ses contemporains à donner du renouveau à leur musique. Son influence indéniable est soutenue par le fait qu’il a tout de même raflé le record du premier artiste à avoir atteint 100 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify à peine un an après la sortie de l’album. Sa popularité n’étant plus à discuter, c’est sans tellement de surprise qu’on apprend en mai 2023 que le chanteur de 33 ans veut abandonner, pardon carrément tuer The WEEKND, fermer pour de bon ce chapitre artistique et reprendre son véritable nom comme annoncé par Jim Carrey dans "Out Of Time" (Soon you’ll be healed, forgiven, and refreshed, free from all trauma, pain, guilt, and shame/You may even forget your own name).

C’est vrai qu’après le chemin parcouru et le succès obtenu, presque de l’ordre du miracle pour le chanteur qui a été sans-abri durant sa jeunesse, on peut comprendre son envie et son besoin de clore cette page de son histoire. On s’en réjouit évidemment et on attend avec impatience de voir ce que la suite donnera en sachant pertinemment que l’évolution se fera en douceur, comme déclaré par Jim Carrey sur "Dawn FM" (You’ve been in the dark for way too long/It’s time to walk into the light/And accept your fate with open arms/Scared ? Don’t worry/We’ll be there to hold your hand and guide you through this painless transition). Et si on veut être nostalgique, on pourra toujours se refaire l’entier de The WEEKND, de ses débuts à la fin (rien qu’imagée par les pochettes, l’évolution de sa discographie est claire, nette et précise).

Même si éternellement désenchanté, le maître des transitions en tout genre continue sur sa lancée avec Dawn FM, un album significatif et pertinent. On l’a vu développer un son haut budget hyper bien conçu pour lequel il ne fera jamais de compromis et asseoir sa position irrévocable de précurseur capable d’utiliser ses talents pour créer des bangers de très grande qualité qui changeront inéluctablement la donne dans l’industrie musicale.