Avec la publication du nouvel album de Matthieu Chedid alias -M-, certains articles dans les médias semblent déjà regretter le virage à 360 degrés pris par l'artiste. En effet, celui-ci s'éloigne considérablement de son disque précédent, Lamomali (2017) pour faire revivre le personnage haut en couleurs que l'on a toujours connu. Une décision jugée d'emblée comme peu sincère et, à l'écoute, guère plus judicieuse.

Enfin quoi ! -M-, plus tout jeune, qui joue à l'éternel adolescent, croit qu'il peut séduire encore une forme de public qui a grandi comme lui, avec la même force qu'au début des années 2000 ? Eh bien oui, il ose. Un peu trop, étant donné le visuel choisi, la guitare en or, la coiffure même couleur qui le transforme en Pokémon oiseau légendaire, ancienne génération là aussi (on va dire Johto, pour ceux qui s'en souviennent !). Au moins, le relief des lettres M est sympathique, et puis c'est l'envie de coller de près aux paroles de la chanson « L'alchimiste ».

Bien fait, bien réalisé, comme cette Lettre Infinie où -M- délaisse tout le côté enracinement/voyage initiatique et l'aspect « rencontres » pour faire du traditionnel : funk, ballades, superposition d'arrangements bigarrés menés par la voix et la guitare, la basse aussi, et puis les choeurs ! En dehors d'anciens collaborateurs (Atef, Segal, Boscheron), -M- est aidé vocalement par sa propre fille, Billie, âgée d'une quinzaine d'années. Sa participation sur une moitié de titres est aussi brillante que Céline B. ou sister Anna Chedid/Nach en leur temps. -M- a toujours fait fort là-dessus.

Parmi d'autres exemples, il y a bien sûr la chanson de fin, ballade émouvante où Papa et Petite chantent ensemble, le premier lui envoyant de jolies fleurs –dans le même style, sans Billie cette fois mais avec une clarinette, « L.O.Ï.C.A. » est également magnifique-. On adore « Si près si », son échange et son ambiance rose sensuelle sans être dérangeante, guère plus que les tournures de phrases à la -M-onsieur -M-alice. Les références écologiques de « Logique est ton écho », ou à l'épanouissement personnel sur « Thérapie », là où elles pourraient énerver votre serviteur en temps normal (trop, partout, tout le temps, de vraies religions nouvelles), ici, ça passe cr'M.

Il y a « Massaï » avec ses questions-réponses, ses jeux de mots affûtés sans être lourds (« Massaï, ces histoires m'assaillent »), seul lien avec le disque précédent et qui prouve que l'Afrique abordée de façon moins directe, plus personnelle, n'a rien perdu de son charme. De même, le single choisi, « Superchérie », révèle la participation de Thomas Bangalter, moitié de DAFT PUNK et, ma foi, le résultat, dans un domaine plus disco, plein de choeurs Billie et de phrases goûteuses, de « mmh » et de « ooh », fait très facilement oublier l'indigeste « Bal de Bamako ».

Le caractère plus tendre, presque variété de certains titres (« L'autre paradis », d'une grande délicatesse) ne fait pas d'ombre au mordant de « L'alchimiste », au groove imparable de « Lettre infinie ». La basse et les choeurs s'affichent dès le départ, la guitare manque un peu d'espace soliste peut-être, mais elle reste très présente et conductrice. Comme les textes, jamais lourds, si les arrangements paraissent malgré tout plus sages qu'avant, cela rend l'ensemble plus aéré ; la guitare acoustique, la contrebasse et le piano en profitent lors de leurs rares interventions (« Billie », « Thérapie »).

Sans le vouloir, -M- fait un pied-de-nez aux productions qui font tant de mal à la musique depuis des années : la remontée de synthé techno sur « Grand petit con » est aussi bonne qu'elle est unique, pas vrai messieurs les DJs ? Idem pour l'envie de déformer sa voix, au Vocodeur (et non Auto-Tune ou Melodyne) sur « Adieu mon amour » : messieurs/mesdames du rap/raï/reggae/ragga, prenez-en de la graine ! Et puis les claviers à la fin de ce titre, qui renvoient au GAINSBOURG de You're Under Arrest... Difficile également de résister, sur « L'alchimiste », à l'hommage détourné aux BEATLES et le « Taxman » de George HARRISON, avec Billie qui fait les « Bip bip » de « Drive My Car » (Laurent VOULZY approves this, for sure)...

Excellent album de -M-, très inspiré, un de ses meilleurs au final !