Pour son dernier effort chez RCA, Bruce HORNSBY envoie tout valser avec un air de "rien à cirer". Conscient de ne jamais retrouver le succès de ses débuts, n'ayant plus rien à prouver et sentant bien la fin de contrat approcher, il honore celui-ci avec l'album qui, pour ses fans, demeure son plus déroutant.

Big Swing Face est enregistré avec les membres qui ont tous constitué les NOISEMAKERS deux ans plus tôt, même si le plus présent reste le bassiste J. V. Collier. À la guitare invitée, HORNSBY fait appel à Steve Kimock, des OTHER ONES, considéré comme "l'autre Jerry Garcia". Et pour le reste...

C'est là que notre homme de la Virginie surprend, car Big Swing Face, album expérimental, met aussi peu le piano magique en avant qu'il est enregistré majoritairement grâce à des programmations, des boîtes à rythmes, et les nouveaux moyens de studio qui vont marquer durablement les années 2000 (j'ai nommé Pro-Tools).

On se retrouve donc avec une musique très groovy, teintée de blues, soul, funk et r'n'b, passée à la moulinette électronique avec l'impression de sortir à la fois dix ans trop tard et bien dans son époque. Un disque dont il ne faut espérer aucun tube à la "The Way It Is" bien sûr, celui-ci étant même cité sur une chanson ("Try Anything Once", par la guitare de David Bendeth, producteur très en vue), selon le ton humoristique voulu par HORNSBY, compositeur quasiment exclusif.

La première moitié de l'album est plutôt chouette. Au début, on est surpris par les loops, la basse-synthé, la mélodie monochorde d'un Bruce qui use d'effets déformants (et ce n'est pas près de changer !). Si le gros son passe bien, le ton blues du morceau aussi. Idem pour la funk de "Cartoons & Candy", où la basse slap de J. V. Collier est mise très en avant tout comme le piano Wurlitzer, clavier favori de HORNSBY sur ce disque. Il adopte une manière très détachée de chanter, ajoute des rires, puisqu'on parlait d'humour... Osé !

"Big Swing Face", le morceau avec son rythme à la Bo DIDDLEY, cache bien son empreinte folk sous une tonne d'effets modernes, chose intelligente et renforcée par une construction intéressante (le pont-crescendo avec l'orgue et la guitare). Néamoins, dans un style ballade soul plus conventionnel "The Chill" est également plaisant, à l'image du caractère parfois aérien dû aux claviers.

Quant à "This Too Shall Pass", elle reste une des plus belles chansons écrites par Bruce HORNSBY, un blues aux paroles hantées que même la boîte à rythmes massive ne peut dénaturer, à en donner des frissons. Avec, en prime, le solo de guitare de Steve Kimock à la fin... Une merveille, passage obligatoire pour tout fan de l'artiste réticent envers cet album !

Le disque s'enlise quelque peu ensuite, avec des morceaux secs et héritiers du hip-hop comme "Try Anything Once" et "No Home Training", malgré les choeurs negro-spiritual, les sons gras de guitare électrique. On retient à la rigueur "So Out" et sa rythmique funk décalée, "The Good Life" pour son refrain pop et sa touche exotique, ainsi que l'orgue Hammond, instrument majeur de cette seconde partie, sur le dernier titre. Pas un indispensable du Virginien, mais à écouter par curiosité et pour une poignée d'excellents morceaux.