Quand j’entends les Américains parler de démocratie, je sors mon MINISTRY – Filth Pig en l’occurrence.

Ce disque, acquis dés sa sortie au début de l’an de grâce 1996, me fascina direct malgré le fait que je le croyais alors moins radical que le très estimé et célèbre Psalm 69. J’avais tort, of course. Non seulement je tenais entre mes mains squelettiques un des meilleurs albums du groupe mais, plus encore, un suprême condensé de haine toxique et bouillonnante comme peu en étaient capables dans cette période pourtant riche en terme d’explorations inédites et de cumulations de rages bien senties.

C’est peut-être ici, en tout cas pour ma pomme, que se situe le point d’orgue de MINISTRY, qui n’est autre que le titre éponyme. Surgissant des entrailles d’une terre encore fumante de la brutale introduction, "Filth Pig" s’installe, avec son rythme lancinant, sa très grosse basse très saturée et sa non moins très grosse guitare de tueur du désert, comme un pur moment de bonheur noir et pachydermique. Avec, cerise sur le gâteau de cambouis, un sublime harmonica en lieu et place du traditionnel (et parfois très dispensable) solo de guitare. Tous ceux qui affectionnent "Scarecrow" du précédent opus et, plus globalement, tous les fanatiques de lourdeur aussi étouffante que bien dosée se doivent donner rendez-vous ici, et nulle part ailleurs.

Face à ce cataclysme parfaitement calibré, on pourrait craindre que la suite ne soit pas à la hauteur. Mais il n’en est rien, ou si peu. "Lava", traînante à souhait, est un hommage à la haine et, il faut bien le dire, au retournement de cervelle ; "Useless" semble sortir droit des enfers du psychédélisme bon teint de la côte ouest ; "Dead Guy" bute et rebute par son intense simplicité et sa radicalité non feinte ; "Brick Windows", comme un retour aux racines, clôt ce lourd album dans une ambiance de fête apocalyptique, à la KILLING JOKE pour ainsi dire.

Le seul titre qui me reste en travers de la gorge est la fameuse reprise de Bob DYLAN, "Lay Lady Lay". Logiquement, je devrais adorer ce brûlot qui, de mémoire, irrita le principal intéressé. Mais logique et musique ne font pas toujours bon ménage… Que dire ? Sans le détester bien sûr, ce morceau m’ennuie et m’ennuie d’autant plus que sans lui, je tiendrais encore dans mes mains toujours aussi squelettiques un des meilleurs albums estampillés indus-metal des années 90. Seuls GODFLESH, SKINNY PUPPY par endroits et le NINE INCH NAILS de Broken pouvaient soutenir la comparaison.

Dans l’ensemble, Filth Pig est très clairement un putain de magnus opus seulement entaché par quelques longueurs certes regrettables mais pas vraiment handicapantes non plus. Ce disque vous roule dessus comme un char d’assaut russe – impossible de ne pas le sentir passer et, donc, de ne pas l’aimer. Bien sûr, il fut abominablement démoli par la critique à sa sortie ; pas assez rapide, pas assez Psalm 69, pas assez conforme à l’idée que l’on se faisait du groupe.
Le fait est que nous avons aujourd’hui suffisamment de recul pour affirmer sans trembler que ce MINISTRY-là est non seulement tout à fait digne de son successeur, mais aussi supérieur, ne serait-ce que d’un pouce en forme de clou rouillé.