Nous sommes maintenant en 1995, Tracy NELSON poursuit son petit bout de chemin. Elle se produit parfois en solo, s’accompagnant au piano et, au gré des programmations, au sein d’un orchestre à géométrie variable. Sous contrat avec le label indépendant Rounder, la native du Wisconsin fait souvent salle comble en se produisant avec d’autres têtes d’affiches du label : Irma THOMAS, Marcia Ball ou Angela Strehli, une recette qui marche sur tout le territoire américain.

Rounder décide de la renvoyer à Nashville au Sound Emporium Studio où Tracy retrouve une équipe soudée puisqu’il s’agit ni plus ni moins du groupe du guitariste Mike Henderson, ancien membre des Bel Airs. Outre Henderson, Tracy retrouve Glenn Worf, un bassiste originaire comme elle de Madison, au curriculum aussi épais qu’un bottin (Shania TWAIN, Mark KNOPFLER, Aaron NEVILLE, Bob SEGER), le batteur John Gardner (ex-Karen Dalton, Tim O’Brien, Lee Roy Parnell) et le pianiste organiste Reese WYNANS (ex-Stevie Ray VAUGHAN, Carole KING, James COTTON), ces deux derniers ayant participé au disque précédent. Rounder a aussi mis les petits plats dans les grands en conviant le guitariste Gary Nicholson (ex-Guy CLARK, John Prine, Coco Montoya), l’organiste Al KOOPER (Bob DYLAN, The BLUES PROJECT, ROLLING STONES, The WHO) et l’harmoniciste Delbert McClinton (ex-Bruce CHANNEL, Roy BUCHANAN, Sir Douglas Quintet) alors que Michael Rhodes (ex-Stevie NICKS, Etta JAMES, Rosanne Cash) intervient sur quatre pistes. Une belle brochette qui n’a pour but que de mettre la chanteuse au diapason.

En guise de mise en bouche, elle reprend "I Want To Know", un petit R&B gentillet du début des sixties de Sugar Pie DeSanto. L’orgue d’Al Kooper impulse un enrobage gouleyant dans lequel Mike Henderson gratte de sobres notes, un titre à cheval entre Americana et Soul.

Le Blues est partie prenante du CD. "I Need All The Help I Can Get", une compo de McClinton et Donnie Fritts, en est le parfait exemple avec son intro d’harmonica et une sonorité qui suinte les terres du Sud du Delta. Une version plus mélodieuse et plus douce que la future reprise d’Ana POPOVIC.
Autre Blues emprunté cette fois au répertoire de Willie DIXON avec "Don’t Go No Further". Enregistré en 1956 par Muddy Waters secondé par les guitaristes Pat Hare et Hubert Sumlin, cette chanson était typographiée à l’origine avec "Don’t Go No Farther". Au fil des années, certains repreneurs ont opté pour un U à la place du A. Toujours est-il que le piano et la guitare nous délivrent de bons enchevêtrements, tandis que le chant se fait plus déclamatoire. Les fans des DOORS reconnaitront peut-être le morceau, il figure en bonus dans la réédition de "L.A. Woman" publiée à l’occasion du 40ème anniversaire du disque.
On monte dans la machine à remonter le temps avec "Send Me To The 'Lectric Chair", popularisé à la fin des années vingt par Bessie Smith. Le dobro et la steel guitare d’Henderson nous orientent vers un Folk Blues Revival que ne renierait pas le dessinateur Robert Crumb. Une version débordante d’humour et pleine de gouaille sur les dangers de l’adultère : All rise ! - Judge, your Honour, hear my plea - Cause I done cut my good man's throat - I caught him with a trifling Jane….
Seule compo de Tracy Nelson, "Words Unspoken" s’avère nettement moins goûteuse ; si le titre oscille entre Jazz bluesy et R&B, il n’en demeure pas moins bancal et peu accrocheur malgré la montée de vocalises, une impression influencée par l’absence d’une guitare. Tracy transforme carrément "The Fool" *, une chanson d’amour guimauve de Lee Hazlewood enregistrée par Sandford Clark, popularisée plus tard par le KING ELVIS, en un somptueux Chicago Blues, malgré l’absence de Delbert McClinton à l’harmonica. La symbiose est totale entre la qualité du chant et les différents instruments.
Superbe trouvaille que "I Live Off The Love You Give Me", un inusité d’Homer Banks qui distille un grand souffle de Soul. On reste toujours dans le Sud avec "I Feel So Good", un grand classique du Mississippi Blues de Big Bill Bronzy. Si le titre a connu de bonnes covers (Muddy WATERS, TASTE, Little Al THOMAS ou Lurrie Bell), Tracy en délivre une version sincère et authentique interprété d’un coté tout en sobriété avec la contrebasse de Glenn Worf, tandis que Mike Hendersen à la slide et Gary Nicholson à la steel guitar nous offrent de bons passages qui fleurent les rives boueuses du Delta, tout cela sous un voilage d’harmonica.
"Meet Me Halfway" **, un inusité de John HIATT, donne les meilleurs rôles aux claviers de Kooper et au piano de Reese Wynans. En dehors de la participation des Memphis Horns, c’est encore la qualité du chant qui frappe les esprits avec "Love Won’t Come", une superbe balade nous plongeant au cœur de la Soul Sudiste.

Une production soignée et sans esbroufe comme c’est souvent le cas chez Rounder Records, un choix de titres triés sur le volet, des arrangements et une orchestration aux petits oignons avec des accompagnateurs qui n’ont de cesse de placer la chanteuse sur orbite restent des ingrédients de fort tonnage. A vrai dire, il ne manquait qu’un hit pour que cet album gagne en notoriété à une époque où le superficiel, les paillettes et les diktats des maisons de productions semblent régner en maître.


*Titre homonyme à ceux de Gilbert Montagné et Lee Ann Womack.
**Titre homonyme à ceux de Arbee Stidman, Black Eyed Peas et Kenny Loggins.