En 1985, AL DI MEOLA donne une nouvelle orientation à sa carrière : finies les cavalcades supersoniques et les exploits guitaristiques, place à l’apaisement, à la mélodie avant tout et à l‘utilisation de technologies avant-gardistes, en l’occurrence l’émulation de sons et leur restitution via un Synclavier piloté par la guitare. Il enregistre quasi-simultanément dans les studios 'Right Track Recording' de New-York deux albums sortis sur le label Manhattan : Soaring Through A Dream, et ce Cielo e Terra, première œuvre pour laquelle Al joue quasiment en solo (il est accompagné uniquement par les percussions et parfois la voix du brésilien Airto Moreira sur certains titres).
Ce disque est presque exclusivement exécuté à la guitare électro-acoustique, Al jouant beaucoup sur la profondeur des sons et les échos pour composer, sur une trame mélodique Jazz d’inspiration latine et plus spécifiquement sud-américaine, une œuvre assez unique et indéfinissable, en tous cas ne ressemblant à aucune de ses autres réalisations (passées et futures d’ailleurs).
Il y a dans ce disque beaucoup d’arpèges, parfois sur des accords atypiques et très recherchés, beaucoup de variations et de progressions harmoniques audacieuses, mais aussi une superbe ambiance générale empreinte de sérénité, d’introspection et d’évasion. Un titre comme "Atavism of Twilight" est parfaitement dans cette veine, avec de magnifiques arpèges, quelques fulgurances dont Al a le secret et une belle progression harmonique. J’aime également beaucoup "Vertigo Shadow", superbe démonstration du talent d’écriture et d’exécution de l’Américain, au service d’une composition proche de la perfection. "Enigma of Desire" et "Etude" sont de la même veine, interprétés entièrement en solo et sur une seule piste pour un résultat d’une grande beauté. "Coral", "When You’re Gone" et "Solace" sont des titres lents comportant une partie harmonique et un thème joué sur une autre piste ; le premier titre est une belle reprise de Keith JARETT, alors que le second et le troisième évoquent parfois des compositions plus classiques de Al comme "Lady of Rome Sister of Brazil". "Traces of a Tear" qui ouvre l’album est une version alternative à celle de Soaring Through a Dream, composition toujours aussi superbe grâce à une lente progression harmonique sur laquelle se posent des voix jouées au synclavier et des percussions qui créent une ambiance nocturne et exotique du meilleur effet. "Cielo e Terra" enfin est le plus long titre de l’album, le plus progressif également, caractérisé par une forte présence des percussions et des voix qui montent en puissance et en intensité ; mais la plus belle partie du morceau intervient vers 7’10, avec un nouveau et superbe thème très brésilien, simple mais plein de feeeling ainsi que des variations virtuoses de Al.

Nous avons affaire à une œuvre atypique, un plaisir solitaire que s’octroie Al, inspiré par les possibilités offertes par les nouvelles technologies, les harmonies brésiliennes et le retour à une musique plus acoustique. Il en résulte une œuvre relativement inclassable, très différente de la tendance plus Wold Music que Al affichera quelques années plus tard, sans parler de son étude approfondie des œuvres de Astor PIAZZOLA.
Certains trouvent le résultat un rien monotone ou ennuyeux, ce n’est absolument pas mon cas tant la qualité d’interprétation et les audaces de composition de Al m’ont toujours énormément plu dans cet album qui est pour moi une référence. Je vous recommande vivement de le découvrir, en vous installant dans une ambiance adéquate et en prenant votre temps. Vous pourriez être à votre tour captés par son élégance et sa classe.