Ne laissons pas notre esprit s'enlever aux quatre vents, n'y allons pas par quatre chemins, car elles sont trois, trois 'filles de' dont deux soeurs. En l'occurrence, Carnie et Wendy, filles de Brian Wilson, génie des BEACH BOYS et icône pop par son talent et sa voix, ainsi que de Marilyn Wilson-Rutherford, chanteuse moins connue. Chynna, citée en troisième mais l'aînée des trois en réalité (Carnie nait deux mois après elle en 1968, et Wendy, fin 69), n'est autre que la fille de John et Michelle Phillips, couple à la ville - jusqu'en 1970 - comme en musique au sein (et comme moitié) du groupe The MAMAS & THE PAPAS, autrement dit le numéro 2 après les BEACH BOYS en termes de pop vocale enrichie et issue de Californie. Quoi de plus naturel d'ailleurs de voir au plus près les rivages du Pacifique apparaître en toute identité sur la pochette de ce premier album ?

Le groupe s'appelle WILSON PHILLIPS parce que, même si on a grandi dans l'ombre de parents unis pour un temps et déchirés ensuite, qui eux-mêmes ont connu divers excès dans leur vie professionnelle au succès inestimable mais parfois plus 'noire' qu'autre chose, enfin même si les camarades d'école ou de lycée n'ont pas rendu les choses plus faciles, il y a deux noms immenses à défendre. Et aussi, un esprit très familial à leur propre niveau : les filles ont tout simplement grandi ensemble, joué, fait des soirées-pyjamas et parlé des garçons grâce à leurs mères qui étaient proches, leurs papas qui jouaient au basket-ball dehors. Initiées très tôt à la musique et avec un certain savoir-faire, Carnie, Chynna et Wendy - à mettre dans cet ordre pour leurs tessitures vocales, de la plus grave à la plus aiguë -, ont aussi vite chanté ensemble, encouragées par leurs mères et eu parfois un public prestigieux. En même temps, quand les invités à la maison se nomment Warren Beatty, Mick Jagger, Jack Nicholson, Elton JOHN (ce dernier figurant d'ailleurs au répertoire).

Forcément, dans ce cadre, les relations parlent et le trio était d'abord pressenti concrètement pour un album 'enfants de' mais collectif, auquel devaient également participer les fils de Frank ZAPPA ; projet abandonné finalement. Le premier grand ponte de l'industrie musicale intéressé par les filles se nomme Richard Perry, producteur de Barbra STREISAND et autres, qui cependant les dirige vers un ami, Glen Ballard. Celui-ci a déjà, sur son CV, des collaborations avec Michaël JACKSON pour Thriller et Bad ainsi qu'un autre trio féminin de choc, les POINTER SISTERS. Il prend WILSON PHILLIPS sous son aile et les fait enregistrer dans son garage aménagé, connu pour resservir quelques années plus tard à Alanis MORISSETTE et son premier album best-seller. Ne reste qu'à convaincre les maisons de disques ! SBK, filiale de EMI, est d'abord intéressée avant de renvoyer les filles "devant le tableau d'école", mais l'un des employés, Charles Koppelman, finit par y croire.

Carnie Wilson, Chynna Phillips et Wendy Wilson, jeunes adultes ou grandes adolescentes pour le moins 'libérées', ont 20-21 ans à peine quand le succès international leur tombe dessus. Chynna surtout, en bas à gauche sur la pochette, mène une vie survoltée entre garçons et dépendances diverses, avant d'apprendre que "Hold On" est numéro 1 du Billboard US, de quoi la faire changer du tac-au-tac. Cette chanson, hantée par leurs propres vies d'enfants de stars et parents instables, elle la co-écrit avec Carnie (celle qu'on voit debout, à jamais la plus charnue et 'portrait au féminin' de son père) et Glen Ballard ; de quoi introduire très collectivement l'ensemble déjà dans l'écriture, sachant que la plus grande partie de ce qui reste contient également l'empreinte de Wendy (physiquement ma favorite). Le disque sort au meilleur moment et le son, parfait pour symboliser le passage aux années 90, est ample, fait la part belle aux claviers et guitares réverbérés tout comme aux basses et percussions programmées. Côté musiciens, John Robinson, Michael Landau comme Paulinho Da Costa figurent parmi la crème des accompagnateurs américains. Quant aux guests, visez un peu comme elle ressort là aussi, l'identité californienne : Bill Payne (LITTLE FEAT), Joe Walsh (EAGLES), Steve Lukather (TOTO) !

Sur ce premier album, les jeunes femmes sont souvent groupées, chantant les couplets comme les refrains en harmonie. C'est ce qui crée l'enchantement, le déferlement de beauté entendu dès le fameux "Hold On" qui leur a valu tant de courriers de fans par le monde dévoilant combien cette chanson, à travers son message vécu, les avait aidées à traverser de mauvaises passes. Avec les petites percussions programmées et chaloupées, les nappes et le piano digital, on est vraiment à cheval entre la fin des années 80 et le début des années 90, avec une belle anticipation sur les futurs groupes féminins comme ALL SAINTS, par exemple. À se demander d'ailleurs si WILSON PHILLIPS et leur renommée n'ont pas initié cette vague. L'efficacité du son comme de la chanson, sous forme de pop-rock suave et aérien, les guitares de Joe Walsh et l'interprétation pleine de belle espérance nous laissent augurer du meilleur.

Les deux autres numéros 1 des charts sont "Release Me", dans la même veine quoiqu'un peu plus orienté slow country, des voix plus 'fortes' sur la fin aussi, ainsi que "You're in Love", titre pop sucré en puissance, pour le moins excellent avec ces arpèges distillés à chaque pré-refrain. Deux autres singles remportent encore un joli succès, même si dans le cas de "Impulsive" (numéro 4), il s'agit de titres faits pour aider à la réalisation d'un premier album d'artistes non-professionnelles, donc par des intervenants extérieurs. On y note les guitares goulues de Joe Walsh et l'effet Stevie Nicks dans le chant de Wendy, tandis que "The Dream is Still Alive", épique et transpirant l'optimisme, ne fait qu'un 'petit' numéro 12, ce qui demeure déjà assez énorme. Bill Payne y jour de l'orgue comme sur "Impulsive".

Parmi ces petites merveilles de douceur fraîche au féminin, on note les touches world par-ci par-là : "Eyes Like Twins" est une ballade massive et plaisante, "Next to You (Someday I'll Be)" qui, malgré son leitmotiv un peu forcé ("oooh-wiii-oooh »), est joliment agrémenté de quelques éléments funky. Ceux-ci se retrouvent avec plus de bonheur sur "Ooh You're Gold", morceau sexy en attendant que WILSON PHILLIPS creuse dans cette veine pour le deuxième album. De même, et comme des auteurs-compositeurs viennent compléter l'écriture pour ce début, les trois filles se livrent déjà à l'exercice de la reprise dont elle useront sur des galettes entières à l'avenir. En l'occurrence, il s'agit de monsieur Tim HARDIN et son "A Reason to Believe" (1965), cristallin au possible céans, avec tout le lyrisme dont Steve Lukather est capable.

Ce premier album est peut-être surproduit, les voix parfois noyées, mais c'est un beau climat qui s'installe, un tour de force imparfait certes mais qui est simplement paru au bon moment, avec la bonne équipe. Des tubes et une foule de bonnes idées, d'intentions adéquates, faute de toujours y arriver, et puis ces vocaux ! Trois fées soeurs de sang ou au moins de coeur, à la discographie courte mais étendue dans le temps, qui réalisent en 1990 un coup d'éclat fait d'élégance, de délicatesse. Alors qu'elles sont en concert au Japon, elles apprennent que "Hold On" cartonne, qu'elles sont des stars des deux côtés du Pacifique. Le premier album, resté un an au Top 10 américain, s'écoule à près de 15 millions d'exemplaires dans le monde. Pour une fois, la France n'est pas seule grande sourde insensible, il y a aussi la Belgique, l'Italie, l'Espagne. Toutefois, les jeunes femmes le vivent comme une grande étincelle dans leur vie, WILSON PHILLIPS demeure un phénomène international pas seulement éphémère : on en parle comme du groupe vocal féminin le plus célèbre dans l'intervalle entre les SUPREMES et les SPICE GIRLS.

En 2016, l'album est réédité en version double CD, avec des tas de versions 'radio edit' etc mais aussi une ou deux traductions mignonnes en espagnol : "Otro Amor (You're in Love)" et "Mi Sueño Vive Aun (The Dream is Still Alive)". Il y a aussi deux extraits live d'époque à ne pas manquer, au Japon précisément, à savoir une très belle reprise féminine de "Hotel California" (doit-on dire de qui ?) et une autre du méga-tube "Hold On".

Note réelle : 3,5