Brian ENO n’a pas inventé l’ambient mais l’a popularisé. Sa collaboration avec Robert Fripp en 1972 marque le début d’une longue recherche jalonnée d’albums et d’expériences fructueuses. Si Music For Films tourne définitivement la page pop, c’est en passant du cinéma aux aéroports que son travail trouve toute son expression. Pour la première fois, l’ambient est nommé et devient un genre à part entière. Brian ENO est un théoricien qui préfère lancer des propositions que d’établir des règles. Au-delà de leur indiscutable réussite, les quatre volumes de la série 'Ambient' sont des guides – à l’instar de son jeu de cartes Stratégies obliques – et nombreux viendront y puiser les bases de leur propre musique.

Erik SATIE écrivait de la 'musique d’ameublement' pour accompagner certaines activités quotidiennes. Nous sommes en 1978, l’heure n’est plus aux salons feutrés mais aux espaces publics où vitesse et progrès ont imprimé leur marque. Music For Airports explore la nature fonctionnelle de l’ambient et lui associe un contexte. Cette musique est un compromis miraculeux entre variation et linéarité. Elle ne doit ni lasser ni captiver, mais se prêter à une écoute passive, sans mémoire ni attente. Il s’agit toutefois d’offrir autre chose que de la muzak formatée et de créer une musique d'une réelle valeur esthétique. Comme SATIE encore, ENO confie au piano un rôle prépondérant – ici joué par son ami Robert WYATT – mais lui adjoint des voix et du synthétiseur pour contenir le fluide du silence. Ni tristes, ni joyeuses, les harmonies visent la neutralité. Cette musique doit s’adapter à tout lieu, tout moment, toute situation et en épouser les humeurs. ENO traite une matière faussement monotone et crée des nuances imperceptibles que l’oreille ressent malgré tout. Le thème de "1/1" est toujours le même et pourtant toujours renouvelé par l'enrichissement des sons. Le phaser utilisé sur "1/2" déshumanise les voix sans leur ôter leur âme et crée une ambiguïté subtile et agréable. Les longues plages développant des motifs répétés se prêtent à une diffusion bouclée ou aléatoire. Un diagramme est associé à chaque titre au verso de la pochette et rappelle que l'Anglais est d’abord un plasticien. Ces figures semblent être des transcriptions graphiques des quatre plages du disque, avec divers symboles pour représenter les hauteurs, les timbres et les durées.

Music For Airports fait bien sûr allusion au stress inhérent à la société moderne. Il se propose d’introduire une certaine douceur dans des lieux qui en sont dépourvus. Le but n’est pas tant de voyager, mais d’accompagner les activités courantes, d’en favoriser la réalisation ou d’en combler les silences dérangeants. Cette 'discreet music' qui prend toute sa dimension à être écoutée en fond sonore ne demande qu’à se faire oublier. Malgré son titre explicite, elle n’est pas réservée aux aéroports mais à tout espace de vie, public ou privé. Dans un hall de gare entre deux trains ou chez soi, pour accompagner lecture, écriture ou tâches ménagères, cette musique pour aéroports possède des vertus apaisantes que chacun s’appropriera. Bonne entente.