Small Craft on a Milk Sea est la première réalisation d'ENO à sortir sur le label Warp (il porte le code n° Warpcd207), celui-là même qui héberge des célèbres groupes de musique électronique comme AUTECHRE, APHEX TWIN, BOARDS OF CANADA... Avec Small Craft on a Milk Sea, Brian ENO nous propose encore un album de musique électronique et d'ambient après la petite parenthèse electro/pop/gospel de 2008, Everything That Happens Will Happen Today (avec David Byrne, ex-frontman des TALKING HEADS). Et Small Craft on a Milk Sea est probablement son album d'ambient le plus réussi depuis de longues années. Il faut dire aussi que nombre de ses albums catalogués 'ambient' de cette dernière décennie étaient sortis de manière plutôt confidentielle, à l'occasion d'événements ou 'd'installations', et n'avaient pas suscité -à raison- un engouement particulièrement débordant. Rappelons aussi que ce sont toujours ses premiers ouvrages d'ambient qui demeurent cités en exemple ou référence (Music For Airports, On Land, Discreet Music, Apollo...) des compositions remontant aux années 70/80 pour la plupart. Cela date quand même.

Pour ce dernier album, ENO s'entoure de Jon Hopkins et de Leo Abrahams (avec qui il a déjà travaillé) et on doit dire qu'il renoue avec ses meilleurs travaux ambient. Pourtant, Small Craft... n'est pas issu d'une seule session d'enregistrement puisque certaines compositions ne sont rien d'autre que des reprises (ou recyclages) de travaux précédemment enregistrés (et écartés) pour la B.O de The Lovely Bones. Peu importe au fond, seule la qualité servie compte. Mais que l'auditeur ne soit pas étonné de se retrouver face à un album d'ambient en partie bien agité, absolument pas uniforme dans ses atmosphères, et qui pourrait être très visuel aussi dans ses tensions, car plane ici un esprit très 'soundtrack'. Ce qui n'est pas étonnant puisque les compositeurs reconnaissent avoir été inspirés par le cinéma et les OST.

L'album, du fait de sa diversité, n'est pas un nouveau Neroli ou Thursday Afternoon (enfin juste un peu). Il lorgne en partie du côté de Ambient 2 (The Plateaux Of Mirror) pour le piano intimiste, de Music For Films pour la variété et les mélodies, d'Ambient 4 (On Land) pour les atmosphères plus obscures ("Slow Ice, Old Moon", "Calcium Needles"), ou d'Apollo, pour les plages plus aériennes. Tant mieux diront certains, ces albums figurant parmi ses meilleurs travaux. Ainsi "Emerald and Lime" est une très touchante entrée en matière avec son piano aérien, un titre de toute beauté, mélancolique et céleste à la fois (tout comme "Emerald and Stone"). La guitare acoustique, qui s'accouple aux touches fantomatiques ("Complex Heaven") formant une mélodie minimaliste mais envoûtante, s'approprie, avec les claviers, le côté stratosphérique d'Apollo, comme le superbe "Written, Forgotten" qu'on retrouve vers la fin de l'album. Le titre éponyme, également un petit bijou d'atmopshères délicates et profondes, met au défi les lois de la gravité. Quel joli retour à l'ambient mélodique !

Mais que se passe-t-il après les trois premiers titres ? Bon sang, quel choc pour un album qu'on croyait purement ambient et serein ! Quelle pochette trompeuse ! On s'apprêtait à s'endormir ou se relaxer et voilà que s'invite une construction remplie de tension et méchamment 'percussive', une énergique speederie techno à la ORBITAL qui nous renvoie dans un décor de science-fiction en pleine course-poursuite "Flint March". Et les percussions martiales de "Dust Shuffle" font monter l'angoisse alors que la guitare électrique abrasive de "2 Forms of Anger" semble vouloir s'inviter dans un film, à la Ghosts of Mars de John Carpenter. Pour sûr, Small Craft... possède un indéniable caractère visuel, c'est une musique de film mais sans le film. Voilà de quoi éclipser la mauvaise techno datée de l'album pop-ambient Nerve Net. Evidemment, les auditeurs habitués aux travaux d'ENO, et éloignés de la techno, y trouveront à redire (quel grossier furoncle sur le visage que ces titres !) et préfèreront plus certainement des ambiances plus apaisantes à la Thursday Afternoon, comme celle que "Lesser Heaven" nous propose.

Voilà donc l'ambiguïté de cet album : d'un côté, on trouve, pour les deux tiers environ, des mélodies ambiantes magnifiques ou des morceaux plus sombres, correspondant exactement à ce qu'on attendait du compositeur britannique au meilleur de sa forme, même s'il ne fait que recycler des recettes anciennes qui fonctionnent; d'un autre côté, on a droit à un tiers de titres utilisant particulièrement les percussions, les rythmes technoïdes, ou utilisant une guitare électrique presque agressive et plus dignes de figurer dans une OST de film d'action/science-fiction. Est-ce que l'esprit de l'auditeur est prêt à accepter cette proposition et concilier tout ceci ? C'est à mon sens la seule vraie question à se poser car le travail est, quant à lui, de qualité, y compris sur le plan technique (basses, profondeur des textures et effets). Il est donc peut-être préférable d'aborder Small Craft on a Milk Sea comme une OST plutôt qu'un simple disque d'ambient. Mais, répétons-le, le résultat est particulièrement enthousiasmant pour peu qu'on accepte cette orientation hybride.

Note réelle : 3.75/5.