Entre 1977 et 1982, Brian ENO est partout. Tel un Midas pop, il transforme en or tout ce qu’il touche et ses seules collaborations suffisent à en faire l’éminence grise du rock avant-gardiste. Alors très impliqué dans la musique dansante des TALKING HEADS, il en prend le parfait contre-pied et enregistre son deuxième volume 'ambient'.

The Plateaux of Mirror est le disque de la solitude et du repli sur soi. Il s’agit du volet impressionniste de la série ; le plus classique dans ses objectifs mais peut-être le plus attachant. Le disque évoque le déroulement d’une journée, des premières lueurs au crépuscule. ENO cherche à suggérer des impressions et non plus à accompagner le silence. Il recourt pour cela à des lieux imaginaires ("Fields of Crystal", "Plateaux of Mirror", "Arc of Doves"), idée qui le mettra sur la voie d’On land. "Wind in Lonely Fences" lorgne déjà vers l’ambient pur du quatrième volume mais reste encore trop chargé émotionnellement pour prétendre aux immensités désertiques.
L’Anglais est un solitaire qui aime collaborer. Travailler sur la matière des autres reste un de ses exercices favoris. Ce deuxième volet marque la participation du pianiste Harold BUDD à qui il cède volontiers le premier rôle.
The Plateaux of Mirror conserve en grande partie les couleurs de Music For Airports. Les voix et les synthétiseurs toutefois en retrait renforcent la suprématie du piano. Les textures sont moins variées, le rendu plus intime. La musique y dégage une profonde tristesse. BUDD développe des harmonies qui incitent à l’introspection. L’album est mélancolique, presque douloureux pour les âmes en peine qui viendraient s’y envelopper, et l’on retrouve par endroit la nostalgie qui habitait la seconde face de Before and After Science ("Julie with", "Spider and I"…).
ENO n’a jamais été aussi proche de SATIE avec ses Gnossiennes et ses Gymnopédies. The Plateaux of Mirror est la musique des après-midi pluvieux, le nez collé à la fenêtre à se morfondre sur ses souvenirs et le temps qui passe. Il doit aussi beaucoup à Arvo PÄRT dans sa façon de dessiner l’infini avec très peu de notes. Le jeu improvisé d’Harold BUDD conduit à des formes plus libres mais garde une grande sensibilité et le sens de l’économie. Les titres évoluent dans les mêmes tonalités, reprenant les états d’âme là où la plage précédente les avait laissés et expriment une profonde lassitude. Le travail d’ENO est une fois de plus décisif. Outre ses interventions au synthétiseur, il traite avec intelligence le piano pour en tirer une grande variété de nuances.

Si On Land gommera toute présence humaine pour laisser place à la nature, The Plateaux of Mirror exalte les doux tourments de l’âme et appelle à l‘ennui résigné. En attendant l’éveil de "Day of Radiance", je vous invite à vous lover dans ce cocon douillet et fragile, dont l’étiquette 'Ambient' ne reflète pas l’essence. Il n’est ici question que de sensibilité.