"Je suis pendu à vos lèvres, espérant le mot
Espérant le oui qui sauverait ma vie"

Cette première strophe du premier morceau figurant sur le premier album de CALI résume, sans qu'il ne soit besoin d'en rajouter, tout l'univers du chanteur perpignanais. Chez Cali, tout (et l'amour surtout) est question de vie ou de mort. Les sentiments sont exacerbés par une personnalité pétrie d'incertitudes, toujours à fleur de peau. Les sensations épidermiques décrites par CALI sont à l'image d'un artiste qui s'offre et se donne, sans limites, sans compter, et pour qui l'acte de création est autant physique qu'intellectuel. Prêt à se sacrifier et se scarifier pour son art, CALI vit l'écriture comme une rédemption, un cataplasme de sel sur des plaies béantes, mais également le seul et unique moyen de continuer à vivre. Quitte à s'abandonner au désespoir.

20 ans plus tard (passés de quelques mois), il est tout naturel que la relecture de cet emblématique premier album soit à l'image de l'artiste. CALI est resté fidèle à ses émotions, habité par son propos, droit dans ses bottes, essuyant les tempêtes avec un panache digne d'un capitaine de coque de noix pris dans un maëlstrom. Pour l'entourer et l'aider à souffler les bougies, le chanteur s'est entouré de son pianiste Steve Nieve, Steve Wickham, le violoniste des WATERBOYS, ainsi que sa fille Coco, violoncelliste. Et puis, CALI a appelé des camarades à la rescousse, ceux qui, 20 ans plus tôt, étaient ses modèles et ses mentors. Si certains manquent à l'appel (MIOSSEC notamment, en convalescence), ils sont nombreux à avoir répondu présents pour donner une nouvelle vie et un nouveau visage à L'Amour Parfait.

"Je voulais célébrer ce disque", explique CALI. "Je voulais vraiment lui faire une fête. Et on m'a parlé de ces jeunes qui arrivent et qui sont au fait de la gloire aujourd'hui. Mais j'ai dit non car pour moi, c'est 20 ans d'amour parfait. Ce sont les gens que j'ai côtoyés, qui m'ont aidé, qui m'ont élevé et que j'avais en posters dans ma chambre."

L'album est complètement revisité. A la guitare électrique, véhicule d'une rage contenue de celui qui écumait jeune trentenaire les bals du sud de la France avec son groupe punk, succède un piano aux allures de boussole, et autour duquel se développent tous ces morceaux présentés dans le même ordre qu'il y a 20 ans (le seul intrus est "Les Choses Défendues", issu de l'album du même nom, présent en fin d'album et interprété avec Pascal Obispo). De nombreux arrangements novateurs et des changements de paradigme nous donnent à découvrir ce monument de la chanson française sous un jour nouveau. "C'est Quand le Bonheur" est le premier témoignage de cette audacieuse réinterprétation. Coco au violoncelle, Steve Nieve derrière un piano à la fois solennel et discret, humble presque. Et puis la voix de Francis CABREL, qui se pose avec une chaleur bienveillante sur ces paroles que l'on redécouvre à l'aune de cette interprétation nouvelle et magnifique. A la timidité de CABREL s'ajoutent les incertitudes de CALI, donnant à ce morceau une richesse inédite. Une redécouverte.

Tant a changé, et si peu à la fois. Introduit par des flûtes traversières printanières, légères comme des chants d'oiseau, "Elle m'a dit" voit sa mélancolie renforcée par l'interprétation sobre de CALOGERO et un final mettant en œuvre des synthétiseurs imposants. Et c'est alors qu'arrive Stephan EICHER, qui de sa voix faussement fragile habille d'une tristesse indicible la ballade "Pensons à l'avenir", donnant à ce morceau une saveur inédite. Sans doute le duo le plus intense de l'album. Des duos qui permettent à CALI de présenter ses morceaux sous un angle différent. "Tu t'en vas" devient une valse baroque, échange joyeux entre deux potes qui regardent avec soulagement partir l'ex-compagne de l'un des deux, interprété ici avec brio par BENABAR. La seule femme invité, Olivia Ruiz, joue de son côté l'épouse infidèle qui invite son amant à déjeuner avec son mari sur l'intense "Dolorosa", dont l'intention malgré l'absence de section rythmique reste très proche de la version originale.

Les morceaux moins connus de l'album sont ceux dont la réinterprétation est parfois la plus réussie. Sur "Tout va bien", CALI dialogue avec Elliott Murphy, son "moi" âgé de 20 ans de plus. Sur "C'est Toujours le Matin", ADAMO tout en retenue donne à ce titre une puissance nouvelle, sa voix usée se posant à merveille sur ce piano triste comme les pierres. Le titre de clôture, "L'amour parfait", résonne deux fois. Une première en piano-voix, CALI proposant un duo splendide en piano-voix avec Peter Kingsbery, leader de COCK ROBIN. Une seconde fois, comme un passage de flambeau, avec sa fille Coco, et des arrangements plus electro. Et puis, il y a "Différent", qui bénéficie du charisme immédiat de Bernard Lavilliers, qui déclame avec une pureté touchante quelques vers du poète anglais John Donne :
"Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi ; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble ; si la mer emporte une motte de terre, l’Europe en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire, le manoir de tes amis ou le tien ; la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain ; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne."

CALI ne fait pas ici que réorchestrer l'interprétation de son premier album. Avec l'aide de ses camarades fidèles (quel boulot abattu par Steve Nieve !), il réinvente des arrangements qui donnent presque naissance à de nouveaux morceaux. Avec ses pairs comme autant d'invités à sa fête d'anniversaire, il donne une saveur nouvelle à ces titres, comme on aiguise un couteau. Non pas que la lame des premières versions de L'Amour Parfait se soit émoussé, mais cette réinvention comme une renaissance nous rappelle pourquoi CALI est un artiste précieux dans le paysage artistique français. 20 ans plus tard, comme si c'était hier.