Gary James Webb. Voilà un nom qui doit vous signifier quelque chose, si tant est que le terme 'new wave' ne vous soit pas synonyme de soupe ou de variété médiocre voire inécoutable. La new wave : c'est du rock. Et Dieu sait que la petite sœur du punk a su enfanter une sacrée progéniture à l'orée et durant la première moitié des complexes années 80. Gary est un de ces illustres marmots. Un des plus insaisissables également. Rare rescapé crédible de l'afterpunk à se maintenir toujours à niveau au gré d'albums digne d'intérêt.

Mais commençons par le commencement. Son histoire prend racine dans le Londres embrasé de la période punk. Fan de KRAFTWERK, de David BOWIE, de Brian ENO et du ULTRAVOX de John Foxx, traumatisé notoire des SEX PISTOLS, personnage atypique légèrement marginal, fasciné par les cieux et l'aéronautique depuis son passage dans l'armée de l'air et dévoreur de livres explosifs : Gary écume les clubs et les bars muni de sa fidèle Gibson Les Paul noire. Se frayant un chemin via ses riffs lames de rasoirs à travers le microcosme punk, dont la radicalité et la violence déployée lors des concerts finiraient néanmoins par le contraindre à provisoirement abandonner les scènes pour se consacrer à un travail 100% studio. Un coup d'œil jeté dans les pages jaunes plus tard et son attention marquée par l'identité d'un plombier dénommé Neumann : et Gary Webb devint Numan. Sa rencontre avec le bassiste Paul Gardiner et la participation de Jess 'Tonton Numan' Lidyard confirmée derrière la batterie, la TUBEWAY ARMY était fondée. Bien que l'on ait plus affaire ici à un power trio. On parle ainsi de gang. D'autant plus que le nom de la formation fut inspiré par les réelles exactions d'une bande de cramés qui semèrent la terreur dans le métro londonien. Pas de doute. Nous étions bien dans l'ère keuponne. Et qui mieux que le juvénile label indépendant Beggars Banquet pouvait permettre à cette curieuse milice de faire parler la poudre? Premier chapitre d'une aventure mouvementée.

Oui. Les qualificatifs 'curieux' et 'mouvementé' correspondent à merveille à l'univers de Gary. Ou plutôt Valerian, si l'on en croit les notes de pochette. Avec un Paul renommé Scarlett et un Jess reconverti en Rael, il ne fait aucun doute que la science-fiction la plus hard est un sujet fondamental dans l'œuvre de NUMAN, lecteur assidu de l'anticipation sociale de J.G Ballard comme des errances hors du commun de Burroughs et de K.Dick. Ce n'est pas un hasard si les premières lignes de l'angoissé "Listen To The Sirens" sont directement extraites de Coulez Mes Larmes, Dit Le Policier, ou encore que le sautillant "Jo The Waiter" semble évoquer Le Festin Nu. L'Angleterre de Gary NUMAN partage bien des similitudes avec nombre de dystopies littéraires proto cyberpunk, qu'il matérialise avec sa new-wave glaciale et dangereusement attirante.
Difficile de ne pas se prendre au jeu du martial "My Shadow In Vain" à l'outro mécanique et militaire. La TUBEWAY ARMY n'est pas ton amie cher auditeur. Et les seuls "Friends" trouvables dans cette galette sont des prostituées bas de gamme qui montent sur fond de riffs assassins. D'ailleurs, fais gaffe, ta petite copine se fait mater pendant qu'elle se touche sur le quasi bucolique "Everyday I Die". Et fais attention de ne pas te faire serrer par la "Dream Police" bien moins fendarde que celle à venir de CHEAP TRICK.
En 1978, alors que la créativité fuse de toutes parts, débuter dans le rock demande une personnalité bien trempée. Pas de place pour les timorés ou les tièdes. Gary l'a très bien compris et sa musique énergique, bizarroïde voire quelque peu dérangeante sur les bords s'inscrit dans la continuité des émeutes de 1977 (le catchy "Are You Real" où un riffing de qualité s'associe à des claviers qui partent en vrille), avec ce petit plus synthétique annonciateur d'un futur usé ("My Love Is A Liquid" et ses embryons d'electro pop, "Zero Bars Mr Smith" qui anticipe les STRANGLERS 8bit de The Raven.

Mais voilà qu'à peine la notoriété en vue, les bâtons s'accumulent dans les roues (et la suite des événements relèvera du lynchage médiatique). On reproche à NUMAN de plagier sans subtilité ULTRAVOX comme le BOWIE berlinois, de ne pas savoir encore s'il se destine au punk ou à la pop. On calmera les ardeurs de chacun en affirmant que ce ne sont ni Gary ni John Foxx qui font la loi sur le nouveau rock UK en 78 mais bien l'affreux Howard 'Devoto' Trafford et sa conception singulière de la vraie vie. Ajoutons enfin que le Thin White Duke n'a en effet pas toujours été très sympathique envers Gary, qui monta pourtant au créneau en sa faveur lors de la ridicule polémique du bras droit tendu de 76. Mais les faits sont là. Et à l'instar des singles inauguraux que furent l'agité "That's Too Bad" et le catastrophiste (et radical) "Bombers", ce premier |i]Tubeway Army n'obtient pas un grand succès. Il rassemble nonobstant bien des qualités requises pour se hisser sans encombre parmi les plus fondamentaux albums post-punk.

Mais attendons encore une année. Le temps que les Friends si chers à l'ami NUMAN révèlent leur véritable nature. Toute sauf organique.