En 2003, suite à des conversations concernant la sortie en DVD du film "Let It Be", Paul McCartney - qui a toujours émis des réserves sur le traitement que Phil SPECTOR, producteur de Let It Be, célèbre pour son Wall of Sound ou ses orchestrations charges, avait infligé aux enregistrements originaux - décide de ressortir l'album dépouillé de ses ornements spectoriens.

D'un côté, l'exploitation sans fin du catalogue d'un groupe dissous en 1970 peut s'apparenter à une démarche purement commerciale... mais comme il s'agit du plus grand groupe du XXème siècle dont la contribution à  l'histoire de la musique est inestimable, l'intérêt historique n'est pas complètement absent. Que va révéler ce projet de mise à nu des enregistrements d'origine ?

Pas grand chose. L'album Naked a évincé deux morceaux ("Dig It", "Maggie Mae"), ajouté "Don't Let Me Down" (sorti en single à  l'époque, mais c'est ici la version du Rooftop Concert), et changé l'ordre des pistes, ce dont on se contrefout royalement. On est d'accord ?

Au jeu des différences, seuls les puristes névropathes vont remarquer - sur la plupart des titres - tel accord supprimé en fin de morceau, telle guitare acoustique conservée, tel morceau de dialogue effacée. Musicalement anecdotique, et fondamentalement sans intérêt. Les seules différences notables concernent 3 morceaux :

"Let It Be". Le morceau-titre sans les cuivres et autres ajouts (écho, toms, orgue...) est encore plus beau, les choeurs ressortent divinement (non mais quel putain de talent ces trois-là c'est hallucinant). Peu éloignée de la version qu'on connaît, mais pour ceux qui aiment ce morceau c'est LA version à posséder, aucune discussion possible.

"Across the Universe" sonne également de façon nouvelle, en vitesse réelle (Spector avait légèrement accéléré pour monter la tonalité du morceau, pas une mauvaise idée d'ailleurs), sans choeurs. Certains pourront préférer cette version, qui montre le genre de diamant brut que LENNON est capable de pondre, celui-là comme les dizaines d'autres.

"The Long and Winding Road" est le morceau le plus immédiatement distinct de la version de 1970, la différence saute à l'oreille. Une belle chanson typiquement maccartnesque qu'on peut légitimement détester tant elle dégouline de sirop et de lyrisme... Mais sans les violons de SPECTOR, avec un piano remis au centre et un accompagnement minimal, elle reprend des couleurs et se pare d'une beauté incontestable.

Le souci avec ce disque, c'est qu'il est intéressant uniquement pour les fanatiques. OK, ils sont des millions. Mais il se trouve que ce petit monde (auquel j'appartiens depuis mon enfance) possède déjà tout. Que ce soit par les bootlegs, les Anthologies... nous avons réuni pendant des années toutes les prises de studio, les changements de direction, les tentatives, tout ce travail de génie qui consistait à ne jamais considérer un premier jet (souvent exceptionnel pourtant) comme une réussite, mais comme le démarrage d'un process qui allait conduire à la chanson parfaite. Ce "Let it Be... Naked" ne contiendra, pour ce vaste cercle, aucune nouveauté digne d'intérêt à part peut-être (mais je n'ai pas tout vérifié...) cette version de "Let it Be", qui est comme je le disais sans doute la meilleure sur tous les plans.