Il y a des disques, comme ça, ils viennent de nulle part, ils n'ont aucune importance particulière, ils sont inconnus, ils ont été conçus sans aucune prise de tête, et pourtant, ils vous remplissent de bonheur. Non pas qu'ils soient exceptionnels. Ils auraient même des défauts, gros et identifiables. Mais voilà, ils ont ce petit plus, ce charme qui les rend immédiatement sympathiques. Experience de Chaz JANKEL rentre clairement dans ce moule. Venu de nulle part ? Il porte bien son nom, c'est un disque complètement à part, une expérience effectivement, à 99% instrumentale, où Chaz laisse libre cours à son imagination sur des durées assez cossues. Inconnus ? Experience n'est même pas référencé sur discogs, c'est dire (d'ailleurs trois albums du beau brun le sont...). Sympathiques ?

Eh ben oui, malgré ses problèmes, Experience est un disque instrumental qui a une vraie beauté intérieure. Problèmes ? Ils sont facilement audibles. Déjà, le piano, presqu'omniprésent, possède un mixage caverneux, quasiment le même son si fameux (j'y reviens toujours) de son premier album. Ensuite, les titres dans une large majorité sont trop longs. Très bons, intéressants, mais souvent trop auto-laudateurs. Ca a un petit avantage : si vous adorez, vous resterez longtemps dans la même ambiance, avant de passer à une autre.

C'est la principale caractéristique de ce disque : il a été classé "new age" un peu à la hâte, et il y en a effectivement, mais Chaz fait de tout : de la world, de la new age pure et dure, de l'acoustique folklorique, et même quelques bribes du jazz qu'il n'a pas encore tout à fait abandonné. Devant un tel éclectisme, il ne me reste qu'à vous dresser la liste des morceaux pour mieux vous faire une idée. C'est fainéant côté chroniqueur, oui, mais au moins vous saurez à quoi vous attendre. On débute par un "Lewie's Inspiration" qui stagne avant de révéler une certaine beauté simple, où la rêverie s'invite au banquet. C'est doux et minimaliste sans pour autant être rempli de vide. "Tulips" continue dans cette lancée entre world et musique contemporaine, avec des boucles world assez bien intégrées, de l'instrumentation orientale remplie de magie, un côté jazz assez prononcé, et là aussi le milieu développe un côté plus "écrit", plus structuré et plus foncièrement mélodique laissant place à un solo de sax charmant en diable.

"Experience" est le premier sommet de l'album. Bénéficiant d'une clarinette tour à tour mystique et macabre, le titre se permet - vous l'aurez compris, c'est un gimmick - de décoller sur une voix féminine d'une simplicité ravissante. C'aurait pu aller encore plus loin, mais visiblement ce n'est pas le propos de Chaz. Il le prouve d'ailleurs par la suite avec "Still", une pièce pour piano seul très bien composée, mignonne comme pas permis, remplie de classe. On dirait, c'est bien simple, "Reverie". Le son aussi, oui... Un peu trop long comme quasiment toutes les compos depuis le début, mais si progressif et émotionnellement dynamique qu'on se laisse vite charmer. Ce ne sera pas le cas avec "Power of Space", tentative ratée de new age synthétique pure où les gros pads de TANGERINE DREAM du début 90's laissent vite place à une seconde partie ennuyeuse. N'est pas VANGELIS qui veut, dans ce domaine !

"Pain of Separation" se permet le mash-up entre Nobuo UEMATSU et Jean-Christian MICHEL (!). Là on est carrément dans la vraie new age, un peu répétitive mais zen. And now for something completely different avec "Spiral", pièce pour guitare espagnole absolument excellente. C'est très simple, très frais, authentique, mélodique et chaloupé, et à tous les niveaux (style, toucher, arrangements), on dirait Mark KNOPFLER quand il était intouchable. "Macuto" revient au jazz de Zoom avec le mélange savoureux d'un saxophone tout à fait classique et d'un clavier Bontempi kitsch au possible en contrepoint. C'est distrayant, drôle, et en plus attention au WOODBLOCK !!! (Nd Bruce Dickinson : c'est comme une "cowbell" mais quand on a moins de fièvre).

"Resonance" laisse à nouveau s'exprimer un piano d'obédience classico-romantique, aidé d'une douce clarinette, un titre gentil. Pour finir sur une curiosité, "Life Drawing", où un piano pas franchement transcendant laisse place à une longue plage new age qui, cette fois, est réussie : extrêmement minimaliste, mais enveloppante, voyageuse, du Terry OLDFIELD dans le texte. Ca passe très vite et ça laisse l'auditeur sur son petit nuage.

Beaucoup à dire pour un si petit disque donc. Mais si on devait le résumer, on dirait qu'il est certes trop long, certes parfois facile, mais que sur toutes les compos (sauf une, la plus courte), transpire une véritable passion pour les sons, l'harmonie, la mélodie et le feeling. On se sent bien, dans ce disque, on se sent apaisé, c'est de l'easy-listening limite musique d'ascenseur tout comme c'est une belle collection de morceaux où le sens mélodique de JANKEL, forcément dévié pendant sa période jazz, revient comme s'il ne nous avait jamais quitté. Un plaisir coupable, et puis non tiens, même pas coupable, fier et haut la tête, tels Patoche et Zaza ! Merci Chaz. Pardon, merci Monsieur Chaz.

Note finale : 3,5 / 5 que je monte à 4 par pur plaisir d'écoute ouatée.