Je n'ai pas, ou plus trop l'habitude de la langue de bois. Néanmoins, la première moitié des années 2000 par Paul McCARTNEY, c'est quoi ? Un remariage qui ne fera pas si long feu avec Heather Mills. Sur le plan musical, laissons de côté les expérimentations et oratorios à tout va. Ce qui nous donne d'abord un album aussi ennuyeux que la pluie de son titre, Driving Rain, en 2001. Et ensuite, en 2005, un album-esbrouffe, Chaos and Creation in the Backyard. Bon album , mais avant de lever les boucliers, il faut reconnaître que l'aspect grisailleux de celui-ci ne méritait pas une telle mise en avant. Ah, on nous l'a sacrément vendu pourtant ! 'Le grand retour de Paul McCartney, enfin !' 'Son premier album valable depuis Ram', rien que ça (quant à Venus and Mars, London Town, Tug of War, Off the Ground, bien sûr c'est du poulet, le genre avarié)...

'Et puis t'as vu, y a Nigel Godrich, le producteur de RADIOHEAD, qu'est venu secouer le vieux pour le faire enregistrer seul comme c'est jamais arrivé et ça a donné cette merveille !' Sauf que les péteux qui viennent dicter leur conduite aux grands hommes pour se hausser du col en brandissant l'étendard provoc', très peu pour moi. À côté de cela, vous comprendrez que je n'attends pas le retour du service militaire obligatoire et que le cross-fit ne doit pas espérer me compter un jour dans ses rangs ou adeptes ; tout cela ne ferait que double dose de discipline en sus de celle chevillée au corps, donc contre-productive. Bon. Sauf que non seulement Chaos-bla-bla m'a quelque peu échaudé et totalement bloqué des années durant dans ma découverte de McCARTNEY solo, mais en plus, il suffisait d'attendre un peu plus et, au contraire, la magie opérait. Déjà que Paul donne toujours le sentiment de faire plus jeune, l'année 2007 (première après son divorce) ressemble à une cure de jouvence ou bien de Juvamine (seulement si Ju va bien !), à une vraie machine à remonter le temps. Et ce qui est fort, avec Memory Almost Full, pensé dès l'an de grâce 2003 après Jésus-Christ donc avant/pendant Chaos-machin, c'est qu'il confirme que la recette-miracle ne pouvait s'appeler Nigel Godrich, celui-ci n'étant même pas réemployé d'une part. Ok, c'est un argument mesquin un peu, mais de l'autre (part et pas de quiche, comme disait le duc, ou alors vite et reviens tard comme disait Fred Vargas), Macca rappelle l'américain David Kahne, celui qui avait géré l'oubliable Driving Rain...

Que, quoi, hein ?! Pas de panique, car on dirait que cela répondait à un besoin urgent, et ce qui est certain, c'est que tout le monde devrait avoir le droit de connaître une seconde chance de ce calibre. Memory Almost Full est tout simplement l'album qu'on attendait depuis bientôt quinze ans, un bol d'air frais dans cette carrière qui depuis le même temps végétait menu, une claque, une oeuvre qui nous fait dire 'bon sang, mais c'est quand même bien mieux que l'autre dont on nous a bassiné juste avant ! Et en plus, avec des chutes des mêmes sessions !' Rien que "Dance Tonight", avec ce pied de grosse caisse et cette mandoline égayante, rien que cette pop lumineuse, ce falsetto dans les aiguës, ces sifflements, cette nappe de Fender Rhodes en fond, cette batterie à la fin... Rien que ce clip de Michel Gondry (Eternal Sunshine... s'il vous plait), très anglais rural distingué, avec des acteurs comme Mackenzie Crook, ce pirate (des Caraïbes, le blond à l'oeil tournant) et, en fée de la mandoline, cette chère Natalie Portman, un vrai Kinder Délice. Et Macca qui grattouille sur sa chaise avec un sitar dans le fond, hommage subtil et chou à feu George HARRISON ("Got My Mind Set on You")...

La chanson, ultime enregistrée, ajout de dernière minute, est représentative du haut niveau de ce disque non pas enregistré seul, du moins pas toujours mais, quand c'est le cas, uniquement en groupe réduit, celui de tournée, bien établi désormais ('Wix' Wickens, Brian Ray, Rusty Anderson et Abraham Laboriel Jr), avec le producteur Kahne qui se charge de quelques programmations. Le seul point négatif, à la rigueur, c'est le fade-out/fondu final un peu rapide de cette chanson et aussi, à l'opposé, celui de la dernière, "Nod Your Head"; un rock affûté lent qui jusque là faisait du bien. Entre les deux ? Que de réussites. Et dites-vous bien que pour illustrer le propos, il suffit d'une évocation de Macca en train de balancer la sauce, vocalement, criant presque comme il le faisait voilà quarante ans. Cela se produit sur un slow, à savoir "Gratitude", et il y a justement de quoi en avoir, rien que pour le trois temps rythmique !

La nostalgie textuelle et l'optimisme musical de "Ever Present Past" sont une bénédiction (tout comme ces séquences de clavecin amusantes), idem pour la mandoline qui revient 'riffer' avec la guitare sur "Only Mama Knows" (titre nerveux qui commençait avec des cordes dramatiques, comme dans un vieux film !). La vibe jazz-pop conviviale de "Vintage Clothes", les guitares électriques jumelles de "You Tell Me" qui est une ballade acoustique, la basse en walk et la touche boogie de "That Was Me", ou encore les vocaux/arrangements à la BEACH BOYS des très colorés "See Your Sushine" et "Feet in the Clouds" ; tout, vraiment tout est gouteux, grandiose. Quelle ambiance urbaine et nocture sur "House of Wax", où la réverbération du chant de Paul contamine avec bonheur le piano, les bourdonnements, la beauté troublée de chaos à peine contenu et le solo de guitare déchirant. Une merveille, d'autant plus que tous les morceaux s'enchaînaient depuis trois ou quatre, intelligemment, tels une nouvelle 'Abbey Road suite'. Mais là, compte tenu du label, c'est plutôt 'Starbucks suite' !

Car en effet, pour cet album, Sir McCARTNEY (anobli par la Reine depuis dix ans) s'en est remis à Hear Music, label qui a un bon pied chez Starbucks en termes de partenariat et qui va se faire une joie de vendre le nouvel album, celui-ci valant bien un muffin ou un donut (ou les deux) comme ventes complémentaires. Croyez-le ou non, mais les restaus verts ne comptabilisent que ces dernières, sans donner de chiffres précis du coup pour un Memory Almost Full qui même sans eux, heureusement pour lui, est un beau carton (5ème au Royaume-Uni, 3ème aux U.S.A.). Et puisqu'on est gourmand, n'oublions pas de parler des deux meilleurs titres de l'ensemble !

D'abord, "Mr. Bellamy", où Macca passe de timbre normal à robotique avec distinction - prions pour qu'Auto-Tune n'existe point encore, hum attendez voir. Quelques sons de cuivres y participent finement, mais surtout la clarinette en soliste, vraiment géniale en coda (qu'on me parle encore du doudouk de "Jenny Wren" et je vous jure, ça va barder). Et parce qu'il ne s'est absolument point écoulé quatre décennies depuis 1965 - tout juste les quarante-et-unième/deuxième années -, le beau Paul de "Yesterday" nous confie un poignantissime "The End of the End", où il se voit déjà un pied dans la tombe et parle de son enterrement... À grand renfort de piano précieux comme ses cordes enveloppantes et aussi bien dosées qu'un câlin d'Anne Hathaway, de sifflements qui titillent la corde sensible, c'est divin. Et d'ailleurs, Bleu là-haut n'a toujours pas décidé de quand faire jouer cet épitaphe en musique, tant mieux. 'No reason to cry' ? Ben désolé Paul, mais déjà que là les larmes viennent, ce satané jour-là, vaut mieux pas compter sur moi !