Il est temps de remettre les choses à l’endroit en abordant le premier disque de Candi STATON, véritable diva de la Southern Soul ou de la Country Soul (les deux registres étant quasi similaires). Après toutes les chroniques dédiées à cette ancienne chanteuse du JEWEL GOSPEL TRIO *, il nous paraît difficile d’apporter de nouveaux éléments. Signalons simplement que si cette formidable chanteuse demeure moins connue dans notre contrée que Carla THOMAS, Betty WRIGHT, Denise LaSalle ou Millie JACKSON, elle dispose néanmoins d’un palmarès largement plus conséquent avec pas moins d’une trentaine de hits dont six rentrèrent de plein fouet dans le Top Ten.

Si Candi STATON est élevée dans une certaine ambiguïté typique de son époque, entre une mère grenouille de bénitier et un paternel poivrot, elle débute toute gamine au sein du Jewel Gospel Singers. Si la musique du Seigneur demeure son premier point d’ancrage, l’adolescente bifurque vers la musique profane, à l’instar de Sam COOKE, l’idole de nombreuses jeunes filles. Sa mère considère ce changement comme un affront, refusant que sa fille quitte la musique sacrée et les spirituals pour celle du Diable. Seul moyen de trouver une certaine indépendance, Candi quitte le foyer familial et se marie très tôt à un ivrogne colérique. Après avoir mis au monde quatre bébés, Candi prend ses cliques et ses claques, bien décidée à vivre la vie dont elle a toujours rêvé.
Devenue chanteuse dans un club de Birmingham (Alabama), elle est repérée par Clarence CARTER (son futur mari) qui l’engage dans son show et la présente à Rick Hall, l’un des pionniers du Muscle Shoals Sound et patron du label FAME. L’arrivée de Candi tombe à pic, Rick Hall vient de rompre avec la firme Atlantic, suite à une énième mésentente avec Jerry Wexler. Sur le point de signer un partenariat avec Capitol, Hall est à la recherche d’une nouvelle chanteuse pouvant diversifier un catalogue essentiellement masculin. Dans l’esprit de Rick Hall, Candi STATON est une parfaite alternative à Bobbie GENTRY dont il va faire l’alter ego. Echaudé par son expérience malheureuse avec Aretha FRANKLIN, Rick Hall décide de lui peaufiner un répertoire sur mesure avec une solide équipe de songwriters.

A la manière d’un joueur de poker, Rick Hall tente une première petite mise avec "I’d Rather Be An Old Man’s Sweetheart (Than A Young Man's Fool)", single qui atteint le 9ème rang des charts R&B. Cette réussite incite le producteur à poursuivre avec un premier album. Si George Jackson et Raymond Moore se taillent la plus grosse part du gâteau en matière de composition, "Someone You Use", titre d’ouverture, provient de Clarence Carter associé à la pianiste Kitty Mann. Gorgé de chœurs à l’image d’un Gospel, emmené par les ivoires de Clayton Ivey, la voix nous emmène vers les tréfonds de l’âme humaine, tout proche du désespoir. Le titre sera plus tard massacré par Vonda Shepard, chanteuse ayant sévi dans la série TV Ally McBeal. Les futurs époux s’offrent une seconde compo avec "Sweet Feeling", titre au tempo lent s’inscrivant dans le registre du Blues Soul, une chanson dans laquelle les premières influences paroissiales de la chanteuse sont aussi évidentes que le nez au milieu de la figure.
Si le rythme ralentit un brin avec "You Don’t Love Me No More" **, une ballade sentimentale du couple Carter/Staton, relevée par une mini section cuivre, la tension n’en est pas moins présente. Candi STATON a un don pour explorer les relations adultérines, thématique chère à la Deep Soul. Le tandem George Jackson/Raymond Moore reste un dénominateur commun à l’album avec plusieurs titres à la clef : le somptueux "Evidence" pose ses fondations sur un backbeat paresseux, des envolées de cuivres, une basse gluante et une guitare au phrasé funky. Une petite pépite de Soul Sudiste et future reprise réussie de Susan Tedeshi. Le tandem a les honneurs de clore l’album avec "Get It When I Want It", titre le plus vitaminé, à guitare plus mordante et au chant plus incisif.

La face B s’ouvre avec "Do Your Dutty", une création de Ronnie Shannon, un auteur de Detroit, popularisé pour la première fois par Gloria Taylor. Si Bettye LaVette enregistra une version fulgurante et autoritaire, épicée de cuivres pour le label Silver Fox, celle de Candi captée trois mois plus tard s’annonce plus dans le domaine de la Soul Sudiste, une interprétation réhaussée par l’emploi de chœurs, à l’image de certains spirituals. C’est ensuite une petite douceur qui se distille sur nos papilles avec "That’s How Strong My Love Is", compo de Roosevelt Jamison gravée pour la première par O.V. Wright, popularisée ensuite par Otis REDDING et les STONES. Là, Candi apporte une interprétation dans la lignée des SWEET INSPIRATIONS, privilégiant l’onctuosité au détriment d’un refrain accrocheur.

STATON n’allait pas tarder à s’affirmer dans le domaine de la Country Soul comme en atteste "Another Man's Woman, Another Woman's Man", une daube Hillbilly de Marlin Greene chantée en duo par Margie Singleton et Faron YOUNG. Fort heureusement, George Jackson et Dan Penn transforment complètement la chanson en une bonne balade Soul parsemée de volutes de flûte. Terminons ces modestes lignes avec un coup de fusil, "I'm Just A Prisoner (Of Your Good Lovin')", une compo de George Jackson et du saxophoniste Eddie Harris, qui pourrait servir de morceau phare pour tout amateur de Southern Soul. On se laisserait presque endormir par le tempo ensorceleur et le texte : I'd rather be lonely - Than to lose you - I'd rather be blue - Than to be all alone…. Si Janiva MAGNESS a repris la chanson avec verve, on goute moins celle de Clarence CARTER, une voix masculine ne s’apprêtant guère à ce titre.

Si Bob Wortham, photographe sous contrat avec Capitol, nous concocte une curieuse pochette avec le visage de Candi STATON à l’envers, le répertoire nous remet dans le bon sens. Staton délivre ici un premier disque impressionnant qu’on écoute de manière quasi religieuse. Si la chanteuse évolue comme un poisson dans l’eau dans le registre de la Soul Sudiste, la plupart des morceaux procure une sensation quasi religieuse. A noter que cinq des dix faces du disque seront publiées en single par Fame Records. Première production étiquetée Fame Records, I’m Just A Prisoner se situe dans le haut du panier du catalogue de Rick Hall, le producteur réussissant encore un coup de maître en dénichant une chanteuse hors du commun (l’une des cinq plus belles voix afro-américaines) ***. Rick Hall récidivera dans une moindre mesure avec la Louisianaise Bettye Swann. Afin d’être complet, signalons que huit des dix pistes figurent dans la compilation Candi Staton éditée en 2004 par Capitol et chroniquée sur ce site. La suite réserve encore de belle surprises et n'en sera que meilleure !


*Chroniqué sur ce site, le Jewel Gospel Trio est orthographié Jewell suite à une typographie différente. Il s’agit du même ensemble ayant compté dans ses rangs les deux sœurs Staton et Shirley Ann Boyd, future Shirley Ann Lee.
**Titre homonyme à ceux chantés par Madeline Bell et Gladys Knight & The Pips.
*** Il s’agit d’un avis personnel, votre humble serviteur classe mesdames STATON, LAVETTE, PEEBLES, Etta JAMES et Irma THOMAS parmi le top Five des meilleures chanteuses américaines.