Après avoir brillamment œuvré dans le domaine du Gospel puis dans celui de la Soul Sudiste, Candi STATON s’était quelque peu fourvoyée en quittant le label FAME de Rick Hall. La chanteuse signe un contrat chez une autre maison de disques, la Warner, un géant qui a la faiblesse de ne guère maîtriser le registre de la Country Soul. La popularité fugace de la Soul Sudiste incite la Warner à lancer sa nouvelle pouliche dans un registre plus proche du Disco, vague qui allait déferler et ravager une partie de la planète. Si Candi connaissait en 1974 un mini succès avec "Candi", il lui a fallu attendre deux ans pour empocher son plus gros carton commercial avec "Young Heart Run", disque dont la plage titre a grimpé sur la première marche des charts Soul tout en accédant à la 20ème place du Hot 100. Superbement produite par Dave Crawford, avec Ray Parker Jr. à la gratte, la chanson demeure l’une des grandes réussites de l’année 76.

A part ceci, pas grand-chose à se mettre sous la dent. La suite s’annonce moins rose avec l’arrivée de Bob Monaco, un producteur dont on peut se demander s’il n’était malentendant ; le bonhomme lui fait enregistrer le médiocre Nights On Broadway, un emprunt aux BEE GEES, un disque qui allait bientôt marquer la fin de son contrat avec la Warner, label que STATON quittait en 1980.

Au début des années 80, Candi fonde avec John Sussewell (ancien batteur d’Ashford & Simpson et accessoirement son quatrième époux) le label Beracah, maison de disques d’obédience religieuse. Pendant deux longues décennies, Candi enregistre une quinzaine d’albums orientés sur sa foi, parfois proche d’un intégrisme revendiqué par certains mouvements religieux. En 1986, Candi est l’auteure d’un bref retour à la Soul avec "You Got The Love", titre enregistré au sein du groupe The Source et destiné à servir de campagne contre l’obésité, l’un des nombreux fléaux dont souffre l’Amérique. Curieusement, la chanson se transforme en best-seller cinq ans plus tard au royaume de la Perfide Albion. A se demander si les voies du Seigneur n’y sont pas pour quelque chose.

En 2006, Candi effectue un retour aussi surprenant que remarqué dans le monde de la Country Soul avec "His Hands", édité par Honest’s Jon Records. Malheureusement, victime de violences conjugales de la part d’Otis Junior Nixon, son 5ème mari et ancien joueur de baseball, Candi ne parvient pas totalement à récidiver. Son divorce en 2012 avec l’ancien sportif lui permet alors de reprendre le bon chemin, celui de la Soul Sudiste, domaine dans lequel elle excelle.

En 2014, un autre miracle marque la carrière de la chanteuse. 42 ans après sa dernière collaboration, Candi retrouve Rick Hall, son producteur fétiche et mentor (après Dieu). Si trois pistes sont enregistrées à Muscle Shoals dans les studios de Rick Hall, l’album porte incontestablement la griffe du producteur. Huit morceaux sont captés lors de sessions à Atlanta dans les studios de Marcus Williams, l’un des rejetons de Candi, alors que deux autres proviennent d’une séance londonienne captée aux Boogie Back Studios, propriété d’Ernie McKone.
Rick Hall fait appel à d’anciens complices, membres de la Muscle Shoals Rhythm Section, du Fame Gang ou du Muscle Shoals Horns. C’est ainsi qu’on retrouve les guitaristes Kevin Holly (ex-Bobby BLAND, Bettye LAVETTE, AMAZING RHYTHM ACES), Larry Byrom (ex-Neil YOUNG, Wilson PICKETT, Levon HELM) les saxophonistes Harvey Thompson (Bobby WOMACK, Bettye LAVETTE, Clarence CARTER, Donovan) et Jim Horn (ex-Duane Eddy, George HARRISON) le claviériste Jimmy Nichols (ex-Rita COOLIDGE, B.J. Thomas, Reba McEntire). Les sessions d’Atlanta voient également la collaboration d’anciens équipiers comme le guitariste Anthony Lockett (ex-Cameo) ou l’organiste Mose Davis (ex-Counts, Snoop Dogg). Enfin, signalons pour les sessions anglaises la présence de Toby Baker à la guitare (ex-CLAPTON, BB KING, Chaka KHAN).
Un beau parterre de musiciens dans lequel viennent pleinement s’intégrer Marcus Williams, présent à la production et aux baguettes, et sa sœur Cassandra Hightower dans un rôle de choriste. A noter que Tony Hightower, gendre de Candi, est largement utilisé puisque participant à deux pistes supplémentaires de sa chère et tendre.

Le répertoire demeure relativement personnel, Candi ayant composé ou co-écrit 9 des quinze titres. Parmi les chansons échappant à sa plume, certains amateurs de Country FM reconnaîtront "Commitment", titre sixties du pianiste Bobby Ray Moore remis au goût du jour par Leann Rimes, chanteuse Country passée par la Pop, le Country Gospel et les chants de Noël, des créneaux susceptibles de rapporter de grosses liasses chez les ricains. Le texte semble retranscrire les difficiles tranches de vie traversées par la chanteuse mais reste porteur d’espoir : What I'm lookin' for - Is a love that's forever - Someone who can capture my soul in a heartbeat - And stay for all time. Autre pioche cette fois dans le domaine de l’Americana avec "Even The Bad Times Are Good" *, une compo de Dan Tyler qui inciterait à tendre l’autre joue. La présence d’une pedal steel nous renverrait presque aux bords du Country Gospel, si ce n’est que les chœurs impulsent une ambiance d’église noire.
Angela Hacker, une ancienne gagnante du show télé Nashville Star, lui apporte deux contributions : "Where Were You When You Knew ?" oscillant tel un serpent entre Americana et Soul Nashvillienne, un morceau imprégné d’un bref passage d’harmonica et d’une pedal steel. Idéalement placé en ouverture, "I Ain't Easy To Love" décroche aisément la mention du meilleur titre, la chanson passant dans l’émission télé "The Late Show" de David Letterman. On se croirait revenu cinquante en arrière à l’époque où Muscle Shoals imposait son nom sur les cartes de l’industrie du disque. A noter la présence de Jason Isbell et John Paul White dans des rôles de choristes de luxe. Dernier titre échappant à la plume de Canzetta, "Never Even Had The Chance" s’inscrit pleinement dans une veine Soul tirée du meilleur fût. La rythmique, la section cuivre et les guitares de Kevin Holly et Larry Byrom nous renvoient aux heures de gloire de la Country Soul seventies.

Parmi les titres de son cru, si "Eternity" nous semble trop synthétique, "Beware, She’s After Your Man" s’envole après une intro du genre spoken song vers un Funk millimétré de la première à la dernière mesure. Le délicat tapissage d’orgue et de cuivres renforce la puissance du chant pour une invitation à la danse. Un titre qu’on pourrait croire sorti d’un album d’Yvonne FLAIR ou de Millie JACKSON. Piste suivante, "Treat Me Like A Secret" se place dans une moindre mesure dans la même lignée, la rythmique tempérant cependant ses ardeurs tandis que la guitare de Lockett se fait plus discrète, alors que Candi se montre plus impertinente. Une ambiance de danse plane sur "My Heart’s On Empty", morceau porté par le tempo des cuivres qui n’ont de cesse de relancer la chanteuse quand les choristes reprennent le chorus à la manière de certains prêches, mettant ainsi Candi au diapason. Autre bonne réussite, "Have You Seen The Children" avec son intro de sax, offre à Candi le loisir de s’interroger sur notre quotidien qu’elle semble ne plus trop comprendre. Co-écrit avec sa fille Cassandra, "Three Minutes To A Relapse" reste marqué par sa cadence festive tandis que la guitare sonne brièvement comme si on était en plein Southern Rock.

A 74 ans, la maîtrise vocale héritée de son apprentissage Gospel fait encore des étincelles. Si le titre bonus est loin d’être indispensable, on trouve peu de déchet dans cet album de Country Soul à l’ancienne. La collaboration avec Rick Hall, des arrangements souvent bien pensés, une production bien léchée, des textes comme souvent bien écrits et la participation de nombreux belligérants qui ne nuit en rien à l’unité du disque constituent des atouts de première force. Si on peut toujours reprocher une orientation parfois trop moderne sur une poignée de titres, rappelons que la Country Soul d’antan était tombée en désuétude, ne revenant à de trop rares moments sur le devant de la scène que par le biais de vétérans ou de productions qui ne suscitent souvent pas une ligne dans la presse musicale, trop pressée à s’enflammer pour d’éphémères météorites qui bien souvent explosent en plein vol, mais c’est là un autre débat. Il ne manque à cet album qu’une touche un peu plus rustre, un hit ou une chanson puissante comme on en trouvait à la pelle dans His Hands. Ne mégottons pas et n’hésitons pas à recommander ce disque à tout amateur de Soul Sudiste.

Note réelle 3,5.


*Titre homonyme à ceux de Carl Belew et des Tremeloes.