Rapidement après l’achèvement de son deuxième album Sequencer, Larry Fast fut occupé par une tournée avec NEKTAR au milieu de l’année 1976, l’enregistrement du premier album solo de Peter GABRIEL à l’automne suivant, la conception du projet Intergalactic Touring Band (1977) durant l’hiver, enfin par la première tournée solo de Peter GABRIEL début 1977. Intergalactic Touring Band était un projet collectif d’album-concept réunissant les signataires de Passport Records.

L’histoire de SYNERGY croise une fois de plus indirectement celle de YES, par le biais de l’ingénieur Russell Hamm qui en 1977 développait pour Steve Howe un prototype d’interface permettant de contrôler un synthétiseur analogique avec une guitare. Larry Fast et son ami le guitariste Peter Sobel réussirent à récupérer la guitare-synthétiseur auprès de Russell Hamm. Peter Sobel parvint à bien faire fonctionner le prototype, et Larry Fast décida de l’incorporer à son nouveau projet d’album. Dans les notes de ses deux premiers albums, Larry Fast clamait l’absence de guitares, en réponse au fameux 'No synthesizers!' de QUEEN. Sur Cords, il concéda Finalement… des sortes de guitares.
L’autre élément majeur de Cords est le Polymoog (1975), premier synthétiseur polyphonique de la firme Moog, à la conception duquel Larry Fast participa en tant que consultant. Cette avancée influença grandement la composition, Larry Fast pouvant désormais enregistrer bien plus facilement des nappes polyphoniques. Le son le plus caractéristique en est une émulation d’un ensemble de cordes, plud puissante que celle du Solina, d’où d’ailleurs le titre de l’album. Les synthétiseurs monophoniques, tels les Minimoog, Micromoog, Oberheim OB-1 et PAiA, restent de la partie et assurent les leads, basse et effets sonores.

Cords est une œuvre impressionniste hantée de mélodies torturées et de sons surnaturels. L’ouverture "On Presuming To Be Modern" donne le ton, avec des sons de flûtes métalliques ou de cloches aériennes, des percussions de bruit blanc, des nappes partagées entre douceur et hantise, et une basse écrasante qui prend aux tripes, comme un point de non-retour qui balaye tout espoir.
Titre phare de l’album, le très rythmé "Phobos And Deimos Go To Mars", en deux parties pour 'seulement' sept minutes, donne à l’électronique progressif ses lettres de noblesse. Nous trouvons les harmonies de cordes absolument exquises de "Phobos" et la reprise de la suite d’accords de "On Presuming To Be Modern" sur "Deimos". Peter Sobel co-écrit la composition et pose des traits de guitare-synthétiseur sur "Phobos", avant d’assurer le riff de basse à sept temps ainsi qu’un long solo sur "Deimos". Impressionant.

Si "Phobos And Deimos Go To Mars" m’a fait triper du premier coup, il m’a fallu beaucoup plus de temps pour apprécier à sa juste valeur la suite de l’album, il est vrai assez tortueuse. Partagé entre la tendresse mélancolique de "Sketches Of Mythical Beast", le cristallin "A Small Collection Of Chords" et "Full Moon Flyer", et des coups de sang comme ceux de "Disruption In World Communication» et "Trellis", Cords garde à la fois une grande cohérence et une rare technicité sonore.
"Sketches Of Mystical Beast" est un large thème émouvant. À nouveau co-écrite par Peter Sobel, "Disruption In World Communication" est le numéro baroque de service, un peu comme "Chateau" sur Sequencer (1976). Mais le pathétique du thème est vicié par la noirceur ambiante, qui ne manque pas de se manifester dans des éclats électroniques où Peter s’en donne à cœur joie. La première face se termine sur la deuxième partie "On Presuming to be Modern", qui réexpose le thème d’ouverture et se termine comme un 'cliffhanger' avec ces dissonances grinçantes.

"A Small Collection Of Chords" ouvre la seconde face avec une pureté mélodique. Ce morceau ainsi que le long "Full Moon Flyer" sont la respiration réconfortante du disque, quelques notes qui vont droit au cœur. Pourtant, "Full Moon Flyer" renouvelle assez vite une pesanteur tragique où la section de caisses-claire électroniques et le lead de Peter Sobel font à nouveau des merveilles. La seconde occurrence du thème assure l’enchaînement avec "Terra Incognita" sur fond de sirène stridente. "Terra Incognita" est un morceau improvisé de Peter Sobel seul, où les notes s’empilent avec deux effets delay en stéréo, à la manière des Frippertronics sur le No Pussyfooting de Robert FRIPP et Brian ENO. On retrouve également cet effet sur Concerto For Synthesizer (1975) de WHITE NOISE.
Les séquences ultra-puissantes de "Trellis" deboulent sans prévenir et encadrent une fois de plus un thème plus avenant, faussement candide et joyeux. Après une fausse fin, le "Deus Ex Machina" n’en est que plus terrible. "On Presuming To Be Modern" revient en épilogue avec de nouvelles variations.

Il existe une version single de "Phobos And Deimos Go To Mars" qui raccourcit la partie "Deimos" pour une durée de quatre minutes et demie. C’est la dernière fois que SYNERGY atteint le Billboard 200, pour six semaines avec une modeste 146ème place. Plus récemment, "Phobos And Deimos Go To Mars" fut interprété par le TONY LEVIN BAND durant plusieurs tournées auxquelles a participé Larry Fast, et on en trouve une version sur le live Double Expresso.
Larry Fast s’est retrouvé début 1978 à assurer de front les sessions de Cords et du deuxième album solo de Peter GABRIEL. Ce dernier passa "On Presuming To Be Modern" en introduction de ses concerts durant sa tournée de 1978. La pochette de l’album Cords ainsi que le verso de celle du deuxième de Peter GABRIEL furent réalisés par le fameux studio Hypgnosis.

Rien en trop, rien qui manque, Cords est le meilleur album de SYNERGY et l’un des jalons de la musique électronique, assurément.