Mais quelle mouche l’a donc piqué ? Le 16 décembre 1992, Pat METHENY entre dans le studio "Power Station" de New-York, se saisit de la première guitare qui lui tombe sous la main, et enregistre en une seule prise sur deux voire trois pistes de guitare électrique saturée, l’album le plus extrême et incompréhensible que l’on puisse imaginer. Ce sont 45‘ d’un chaos total qui nous sont livrées, Pat poussant le vice jusqu’à décaler d’un quart de ton l’accordage de la guitare entre les différentes pistes, créant un ensemble dissonant et une constante impression de fausseté.

Artificiellement découpée en 5 parties, cette longue improvisation échappe de mon point de vue à toute analyse : certains se sont hasardés à discerner dans tel ou tel mouvement des structures rythmiques ou harmoniques différenciées, et à y trouver des correspondances avec d’autres œuvres du virtuose américain, ainsi qu’un semblant de cohérence voire de plaisir auditif. Pour ma part, je ne retiens rien de tout cela, ce disque est tout simplement inécoutable, et probablement pas fait pour être écouté, en tous cas pas de la façon où nous l’entendons habituellement.

La question est donc de savoir pourquoi Pat s'est lancé dans un tel enregistrement ? L’explication la plus triviale, celle d'un bras d'honneur et d'une sorte de règlement de compte avec le label Geffen auquel il devait un dernier album, est vraisemblablement à écarter. Pat prétend pour sa part que ce disque mijote en lui depuis 25 ans, et qu’il a choisi cette fois de présenter son travail en 2D, et non en 3D comme de coutume (en rejetant donc toute préoccupation formelle) : sa musique y aurait toutes ses caractéristiques habituelles, mais ce serait cette fois à l’auditeur de faire l’effort d’aller vers elle et non l’inverse. Nous tiendrions l’anti Secret Story, œuvre merveilleuse sortie un peu plus d’un an plus tôt. Pat affirme enfin que pour lui tout est devenu musique, et certains avancent que Zero Tolerance For Silence serait le point d’orgue d’une réflexion poussée sur la frontière entre le bruit et la musique.

Pour ma part, connaissant le goût de Pat pour la peinture, je ne peux qu’associer une telle démarche à celle d’un artiste couvrant sa toile de couleur noire, et invitant les amateurs à imaginer ce qui se cache derrière (la pochette semble d'ailleurs nous orienter dans cette direction). Quoi qu’il en soit, ce disque est absolument A DECONSEILLER à qui veut découvrir l’œuvre de génie de cet immense musicien, au risque d’en être dégouté à jamais. Pour les autres, jetez-y une oreille à titre de curiosité, vous m’en direz des nouvelles, je pense que même les plus grands férus d’œuvres expérimentales y laisseront des plumes. Il n’existe pas de barème pour noter une telle œuvre, le 1 ne sert que de repoussoir pour ne laisser la place à aucune ambiguïté.