Après ses expériences solitaires ponctuées de deux albums et les deux enregistrements du projet "Unity Band, Pat METHENY fonde un nouveau groupe avec lequel il part sur la route. Constitué du pianiste gallois Gwylim Simcock, de la bassiste et contrebassiste australo-malaysienne Linda May Han Oh, et une nouvelle fois du batteur mexicain Antonio Sanchez (dont Pat est un grand fan), le groupe est si bon et si soudé qu’il inspire à Pat l’envie d’enregistrer un nouvel album.

Œuvre copieuse de 76’ et dix titres, From This Place est enregistrée comme de coutume à New York, et paraît en février 2020, sortie qui coïncide sinistrement avec le décès du complice de toujours ("un frère" selon les propos de Pat) le formidable pianiste Lyle Mays. Cette ombre bienveillante va planer sur ce nouvel opus, tant celui-ci renoue avec les grandes heures du PAT METHENY GROUP, tout en évoquant bien souvent également le fabuleux Secret Story dans son inspiration comme dans son orchestration, Pat faisant cette fois appel au Hollywood Studio Symphony Orchestra pour apporter à sa palette toutes les couleurs et nuances souhaitées. A noter enfin que le second complice de toujours, Steve Rodby, ne joue pas cette fois sur le disque mais s’occupe de sa production.

Pour bien appréhender cet album, et le travail colossal qu’il comprend, il convient enfin de le replacer dans le contexte de sa sortie : les USA ont élu comme président un dangereux populiste, et Pat ressent profondément cette fracture entre l’Amérique qu’il aime, celle des grands espaces, de la démocratie et de la liberté, et celle plus profonde gorgée de ressentiments et de rancœurs qui l’a toujours effrayé. La chanson titre a d’ailleurs été composés lors d’une matinée morose au lendemain de l’élection de Trump. La pochette de l’album illustre cette crainte symbolisée par la tornade qui s’abat sur de vastes et paisibles plaines. Le COVID, et l'impact qu'il a eu sur le monde de la musique, n'ont pas arrangé les choses et pèsent également sur l'atmosphère de l'album.

Titre phare de l’album, le très progressif "America Undefined" évoque au long de ses 13’24 la situation fragile dans laquelle est plongé le grand pays. Nous découvrons une large fresque qui évoque d’abord la beauté et l’harmonie dans le style habituel des musiques de Pat, intense fluide et lyrique, avant de basculer vers une marche sombre évocatrice de la facette la plus noire des USA, sur fond de sons de bataille et d’émeutes. C’est un titre superbe et impressionnant. En écho à ce titre introductif très progressif, on trouve en fin d’album "Sixty Six" dont le rythme évoque fortement le "Last Train Home" du PAT METHENY GROUP, et qui déroule une magnifique montée instrumentale embellie par les jolis breaks de batterie d'Antonio Sanchez et la beauté des arrangements orchestraux. Pat intervient dans son registre habituel, sans esbrouffe et 100% tourné vers la mélodie et la musicalité d’ensemble. "You are" est également un des très grands titres de l’album, une somptueuse marche lente, intense et intime, sur laquelle se greffent un à un les instruments (dont des voix) : c’est un exercice de style superbe et fascinant.

Dans un registre plus Jazz, "Wide And Far" se déploie autour d’un superbe rythme légèrement chaloupé sur lequel la guitare de Pat tisse de superbes traits oniriques ainsi que des phrases en contrepoint avec le piano. Un joli solo de contrebasse ponctue la dernière partie d’un titre qui évoque fortement l’univers de Secret Story. Le rythme et la tonalité d’ensemble d'"Everything Explained" sont plus enjoués. Pat fournit une belle prestation tout en retenue, alors que durant la seconde partie le piano prend des consonnances latines évocatrices du grand Chick COREA. "Pathmaker" se déploie dans un style de Jazz un peu plus rétro, évocateur des premiers enregistrements de Pat, et permet à la batterie de briller lors de la seconde partie. "Same River" est un morceau chaleureux, joliment lancé par la contrebasse, gorgé d’harmonies et de sonorités latines, et qui permet à Pat de jouer un solo avec sa guitare synthé. "The Past In Us" place la guitare acoustique en contrepoint de l’harmonica de Grégoire Maret, déjà présent sur The Way Up, dans un ensemble qui évoque également les interventions de Toots Thielmans sur Secret Story. C’est un joli titre empreint de nostalgie.

Le dernier morceau de l’opus, "Love May take A While", est une belle ballade nocturne, dont la superbe orchestration est très cinématographique et la partie de guitare profonde et douce. Il nous reste le morceau titre, un des rares chantés dans le répertoire de Pat METHENY. C’est l'américaine Meshell Ndegeocello qui vient poser sa douce et jolie voix sur ce qui peut se lire comme un chant patriotique détourné, empli de craintes mais aussi d’espoirs en des lendemains meilleurs.

From This Place est finalement une nouvelle œuvre monumentale de Pat METHENY, succédant près de 40 ans plus tard à son magnum opus de 1992, mais également une synthèse et un écho à l’ensemble de sa carrière en groupe. N’ayant plus rien à prouver en tant que soliste, Pat se met légèrement en retrait pour laisser une belle place à ses formidables musiciens et aux somptueux arrangements de cordes qui accompagnent l’enregistrement que caractérise une belle alternance de titres pleinement Jazz et d'autres plus progressifs.
C’est un disque de grande maturité, mais également une œuvre totalement inspirée qui nous est proposée, raison pour laquelle, quoiqu’un peu inférieure à Secret Story ou des meilleurs opus du PAT METHENY GROUP, je lui réserve tout de même la note maximale.