Avec What's It All About, PAT METHENY invoque cette fois ses racines profondes, les titres qui ont donné au jeune homme du Missouri qu’il était l’envie, en rupture avec la tradition trompettiste familiale, de se saisir d’une guitare et de se lancer. Et il le fait en solo, la splendide pochette nocturne nous avertit du contenu : comme sur le précédent opus, ce sera de l’intime et de l’introspectif, avec la touche de voyage qui a toujours caractérisé la musique du guitariste américain et un enregistrement une fois la nuit tombée pour garantir l’unité d’ambiance de l’œuvre.
Dix titres, certains fameux, d’autres nettement moins, nous sont proposés, pour un disque d’une durée de 56’ au cours duquel Pat revisite les plages qui ont contribué à façonner sa personnalité musicale. La filiation avec l’opus One Quiet Night est stylistiquement patente, à la grande différence que, pour la première fois, le virtuose américain ne nous propose que des reprises; son apport se focalise dès lors sur sa façon de s’approprier les mélodies et harmonies qu’il visite. Il en sera récompensé par le gain d’un énième Grammy Award, celui de 2012 au titre une nouvelle fois du 'Best New Age Album'. Précisons enfin que la guitare Baryton est une nouvelle fois au cœur du projet, même si la fameuse 'Pikasso' aux 42 cordes, une guitare à cordes Nylon, et une guitare folk sont de sortie sur trois des titres de l’album.

Le choix des titres peut surprendre : si trois d’entre eux sont d’immortels et célébrissimes tubes, les sept autres sont de purs produits de la variétés US de la fin des 50’s et des 60’s, œuvres souvent oubliées de formations elles-mêmes tombées dans les oubliettes. Et aucune de ces œuvres ne se rapproche réellement du jazz, on est bien sur les mélodies qui ont façonné Pat dans son jeune âge, avant qu’il devienne lui-même musicien, et la révélation incarnée par les premiers disques de Miles DAVIS qui parvinrent jusqu’à lui.
Au rayon des tubes, "The Sound Of Silence" qui ouvre l’album est interprété à la guitare Pikasso qui permet à Pat, sur un tempo très lent, de faire joliment flotter ses accords graves, à la limite de la dissonance, et de tisser de jolies grappes de notes aigues ; il se permet même quelques effets percussifs en frappant sa guitare. "The Girl From Ipanema" est à peine reconnaissable tant l’harmonie est triturée, même si la partie mélodique reste fidèle à l’original mais sur un rythme fortement ralenti. "And I Love Her" est beaucoup plus fidèle à l’original, mais Pat se permet avec sa guitare à cordes nylon un passage central très personnel qui donne une dimension supplémentaire au titre. On sait combien l’arrivée des BEATLES dans les foyers américains a suscité des vocations, et celle de Pat METHENY pour la guitare y puise sa source.
Les autres titres choisis, beaucoup moins fameux dans nos contrées, sont de belles chansons très représentatives de la variété US de l’époque. Pat tire la quintessence de ces mélodies, souvent très jolies à l’origine. Ainsi "Cherish" et "Alfie", reprises de THE ASSOCIATION et de Burt BACHARACH, sont de belles réussites, la première ornée de jolis accents pastoraux, la seconde dotée de quelques accords un peu Jazz, étant à l’origine une chanson de crooner. A noter que les premiers mots de la seconde donnent son titre à l’album de Pat.
"Rainy Days and Mondays" de THE CARPENTERS et "That’s The Way I’ve Always Heard It Shoulb Be" de Carly SIMON, mélodiquement un peu plus fades, permettent au guitariste américain de jolies transgressions harmoniques et des enrichissements notables et bienvenus. "Slow Hot Wind" est une belle musique de série composée par Henry MANCINI (l’auteur de La Panthère Rose) aux accents plus Jazz, alors que "Betcha By Golly, Wow" est un titre de THE STYLISTICS, groupe issu de la Motown. Pat s’ingénie sur ces deux pièces à mettre en valeur la beauté des mélodies dans un style lent et méditatif pour la première, plus groovy pour la seconde.
Il nous reste "Pipeline", titre de THE ELIMINATORS, plus pêchu et rock, que Pat restitue parfaitement avec une guitare folk cette fois. A noter que la version originale est jouée à trois guitares, dans un style assez proche des SHADOWS.

Comme One Quiet Night, What’s It All About est un album qu’il faut aller chercher en se plaçant dans un état propice et en lui prêtant une attention maximale. C’est la condition pour en profiter pleinement et en saisir toutes les nuances et subtilités, faute de quoi il pourra sembler un peut lent, long et monocorde. Pat se place en effet dans une perspective très méditative pour interpréter ces pièces, et leur donne une intensité et une proximité saisissantes. Comme il le souhaite et le répète à l’envie, la beauté d’une musique vient de l’interaction avec son auditoire qui doit faire de son côté une partie du chemin. A condition de produire cet effort, vous passez de superbes moments avec un album que je vous recommande notamment pour les longues et calmes soirées d’automne et d'hiver.