Les longues tournées peuvent avoir du bon ! Au fil d’une année 2022 ponctuée de pas moins de 160 concerts du remarquable projet "Side Eye", Pat METHENY profite des temps morts pour fouiller dans son disque dur, sa "Box", et en exhumer des trésors enfouis. Ce sont des fragments de morceaux, des lignes mélodiques, des suites d’accords et toutes sortes d’esquisses qui revoient ainsi le jour et dont Pat décide de faire un nouvel album.

De cet ensemble, émergent six compositions originales plus trois reprises, la version vinyle nous en offrant même une quatrième. Comme Pat le décrit lui-même, tout est joué à la guitare électrique, à l’instar de la formule mise en œuvre une première fois sur l’extraordinaire titre "Unity Village" tiré du non moins fantastique Bright Size Life, le premier opus de l’Américain : Pat enregistre une ligne harmonique constituée d’une suite d’accords, et y ajoute des lignes mélodiques et improvisations en guitare lead.

Le superbe Artwork ainsi que le titre de l’opus, malicieusement évocateur de l’origine et de la tonalité de l’album mais aussi du corps creux de sa superbe demi-caisse Ibanez, nous installent dans une atmosphère effectivement onirique, propice à l’évasion et au lâcher prise. L’immense savoir-faire de Pat allié à son sens de la composition n’étant plus à démontrer, il est facile de se laisser gentiment dériver au fil d’un album dont la seule ambition est de nous offrir une expérience sonore quasi sensorielle.

"The Waves Are Not The Ocean" déroule un thème lent et profond qui nous capte par sa beauté mélodique et nous laisse flotter sur une vague d’accords mélancoliques. Le style est évidemment caractéristique : les lignes de lead sont fluides et très ouatées, avec parfois quelques harmoniques, et la suite d’accords superbe. On peut en dire autant du splendide "From The Moutain" qui nous avait été offert en avant-première et dont la partie harmonique se rapproche un peu plus des œuvres solos antérieures de Pat, assez évanescente et partiellement atonale, dévoilant un fort joli thème aux effluves latines dans une atmosphère sereine et envoûtante. Pour continuer sur les compositions de Pat, "Ole & Gard" installe un thème un peu plus enjoué, assez proche du style de "Unity Village", avec de superbes lignes mélodiques et de belles traversées de manche, des notes les plus graves aux plus aiguës. Sur "Trust Your Angels", Pat nous rappelle le formidable conteur musical qu’il est et sa faculté à tisser une trame narrative, avec ses accents, ses rappels, ses retours et ses points saillants.
"PC Of Belgium", au titre un peu surprenant, distille également une superbe mélodie, dans une atmosphère nocturne prenante, et enfin "Clouds Can’t Change The Sky" est un titre très introspectif qui s’étire délicatement, appuyé sur des accords parfois jouées en arpèges, et qui dévoile peu à peu ses beautés intimes.

Passons aux reprises : "Never Was Love" est un fort joli titre de Russ Long, au rythme plus soutenu et au superbe thème qui me fait immanquablement penser au disque Beyond The Missouri Sky enregistré en 1998 avec Charlie HADEN. Pat brille bien entendu dans la partie improvisée. "I Fall In Love Too Easily" est une chanson de 1944 composée par Jules Styne et surtout connue grâce à la version de Bill EVANS. C’est une très belle mélodie, simple, profonde et délicate comme de la dentelle, qui se déploie au fil d’accords riches et profonds. "Morning Of The Carnival", dont la musique a été composée par Luis Bonfa pour le film "Orfeu Negro" de Marcel Camus, est un immense classique de la musique brésilienne. J’en adore notamment la superbe version de Baden Powell, mais ce titre est également désormais un grand classique du Jazz. Pat lui fait honneur en le traitant avec beaucoup d’humilité et en délivrant une improvisation de grande classe. Il nous reste le titre bonus, "Blue In Green" paru dans le légendaire Kind Of Blue de Miles DAVIS et qui vient joliment teinter la fin de l’opus de ses sonorités bluesy.

Nous tenons finalement un fort joli album, qu’il faut néanmoins aborder avec le bon état d’esprit et le niveau d’attention qu’il mérite. Selon les goûts et l’humeur de chacun, on peut en effet le trouver profond et passionnant, ou bien un peu monotone et manquant de relief. Quoi qu’il en soit, Pat continue à 68 ans à vivre intensément sa passion et à nous la faire partager. Ce disque en apporte une nouvelle preuve, si besoin était. Ne le manquez pas sur nos routes cet été !