Home Invasion est un nouveau live pour Steven WILSON après celui de 2012, Get All You Deserve, venu ponctuer la tournée de promotion de l’album Grace For Drowning. Cette fois c’est le disque To The Bones qui est au cœur de la tournée de 2018 et les enjeux sont bien différents. Ce dernier opus en date a permis à Steven d’accroitre notablement sa notoriété, grâce notamment au titre "Permanenting" qui lui a ouvert la voix des ondes, non sans éviter les controverses inévitables à la parution d’un titre ouvertement disco, crime de lèse-majesté au pays des tenants du rock progressif cérébral auquel l’anglais nous avait habitués. Du coup l’enjeu bien palpable des concerts consistait à démontrer la capacité de l’artiste à fidéliser ses nouveaux fans, tout en contentant les plus anciens, notamment ceux séduits par les fantastiques albums progressifs The Raven That Refused To Sing et Hand Cannot Erase.

L’enregistrement et le blu-ray proposés sont issus de la soirée du 2 novembre 2018 au Royal Albert Hall de Londres, dans un décor superbe, parfait écrin pour la musique classieuse servie par Steven et son groupe de pointures, le fantasque et fantastique Nick Beggs à la basse et le virtuose Adam Holzman aux claviers en tête. A noter pour la version visuelle l’innovation consistant à projeter les vidéos accompagnant les morceaux non pas derrière le groupe mais sur un filet transparent à l’avant, l’effet est immersif et saisissant. A souligner également une saisissante introduction "Truth" où sont projetées des images fortes qui sont peu à peu décorrélées de leurs légendes, pour un rendu qui donne à réfléchir.

Sur les 21 titres retenus pour ce Live, l’album To The Bones se taille sans surprise la part du lion, avec 10 morceaux joués, à l’exception, notable et surprenante, du titre éponyme. On sait que la consonnance ouvertement pop-rock de l’opus a pu faire grincer quelques dents, mais le rendu scénique ne peut qu’emporter l’adhésion. Steven se fend même d’un petit discours malicieux rappelant l’éclectisme de ses goûts et son amour de la pop (THE BEATLES et ABBA notamment) avant de lancer "Permananting" joliment accompagné par des danseuses en provenance directe de Bollywood. On note que Steven tient parfaitement en live le chant haut perché en voix de tête du titre. Les moments partagés avec la formidable Ninet Tayeb sont bien entendu des temps forts du show : le profond et émouvant "Pariah", le beaucoup plus rock "People Who Eat darkness" drivé par la Telecaster de Steven et le si mélodieux "Blank Tapes". Sur "Song Of I", Steven, bien soutenu par Ninet, évoque PRINCE, une de ses idoles, avant de superbes envolées instrumentales, alors que "Refuge" est lancé par une superbe intro Jazz au piano avant une envolée très émouvante sur le thème des SDF. On retrouve cette émotion sur la jolie ballade "Song Of Unborn", alors que "Nowhere Now" et "The Same Asylum As Before" sont un petit ton en dessous mais tout de même fort agréables. Mais en bon amoureux du prog, le sommet est de mon point de vue est atteint par "Detonation", formidable pièce de plus de 11’ qui après une intro prodigieuse ponctuée par le superbe chant de Steven, prend sur sa seconde partie un tour clairement Jazz permettant à la guitare d’Alex Hutchings et au piano d’Adam Holzman de briller de mille feux. Du très grand art.

Parmi les 11 titres issus des albums plus anciens, pas moins de 6 sont cette fois des reprises de titres de PORCUPINE TREE, preuve que Steven ne se gène désormais plus en la matière. On note la présence surprenante de "The Creator Has A Mastertape" où Steven se fait plaisir en martyrisant ses pédales d’effet pour un rendu très métal indus, et à l’autre extrême la jolie et calme ballade "Lazarus". "Arriving Somewhere But Not Here", "Sleep Together", "The Sound Of Muzak" et "Even Less" sont d’incontournables et magnifiques classiques du répertoire des porcs-épics. Sur la dernière, Steven propose une version solo du meilleur effet, mention spéciale à sa rythmique guitare bien percussive.

Les quatre derniers titres du live représentent trois opus solo de Steven, y compris le « demi-album » 4 ½ d’où est tiré le très crimsonien instrumental "Vermillioncore". "Home Invasion / Regrets #9" nous enchante en nous plongeant dans les belles heures de Hand Cannot Erase pour un moment purement progressif gorgé de classe (et quel solo de guitare) alors que "Ancestral" extrait du même album déploie ses superbes harmonies tout au long de 13’15 de belle émotion et d’excellence instrumentale. "The Raven That Refused To Sing" vient formidablement mettre un terme à l‘album, ce n’est pas de la façon la plus gaie, mais quelle beauté et quelle performance de Steven !

Au moment du bilan, force est de reconnaître que Steven WILSON, parfaitement secondé par un groupe d’une immense classe, a su relever son pari : proposer un savant mélange des sonorités mainstream de son dernier disque avec celles des œuvres antérieures aux accents nettement plus rock et progressives. Le niveau d’excellence de l’ensemble et le rendu visuel du blu-ray (que je vous conseille ardemment, notamment si vous n’avez pas eu la chance d’assister aux nombreux concerts donnés en France lors de la tournée) permettent à l’opus de frôler la note maximale que je réserve toutefois à une version de Steven un peu plus en phase avec son style originel. Incontournable néanmoins.