Pour BON JOVI, pratiquer le rock est devenu une souffrance. Une souffrance cruelle, qui a posé sa griffe sur les cordes vocales d'un chanteur qui a souvent négligé de prendre soin de son outil de travail, et qui à partir de 2019 a fortement dégradé la qualité des prestations scéniques de l'Américain. Une descente aux enfers documentée sur de nombreux témoignages vidéo particulièrement gênants, et décrite dans la série documentaire Thank you, Goodnight : The Bon Jovi Story diffusée sur la plateforme Hulu au mois d'avril.

A l'été 2022, après l'échec de nombreuses thérapies, Jon Bon Jovi décide de passer sur le billard et de subir une double opération destinée à sauver sa voix. Deux ans plus tard, c'est un chanteur encore en rémission qui propose Forever, seizième album de la formation et le quatrième enregistré depuis le départ d'un Richie Sambora dont la carrière ronronne. La voix de Jon est encore fragile, le chanteur a d'ailleurs annoncé être dans l'incapacité de partir en tournée pour soutenir ce nouvel album, préférant se contenter de show-cases ou d'apparitions surprises, la dernière en date à Nashville, à l'occasion de l'ouverture d'un bar dont il est le propriétaire, interprétant alors 5 titres et offrant une des rares chances d'entendre en concert "Legendary", premier single de ce nouvel album.

Pour qui ne serait pas au courant des déboires de Jon, la découverte de Forever ne pourrait pas laisser à penser que le bonhomme est convalescent. Sur cet album, qui ressemble davantage à un effort de groupe que le précédent, 2020, une création solitaire, la voix de Jon est suffisamment solide pour donner le change, et si les 62 printemps du bonhomme impactent nécessairement sa puissance vocale, le chanteur n'a pas ici à rougir de sa prestation. Il semble confiant et déterminé, proposant même quelques belles incursions dans les aigus sur sur le morceau "Waves". En studio, peut-être aidé par un soupçon de technologie, Jon reste solide et déterminé.

Comme souvent depuis 2009 et The Circle, son dernier album véritablement intéressant, BON JOVI, le groupe déçoit par sa volonté de proposer une musique assez fade, qui n'a de rock que le nom. La déception principale vient du fait que, malgré la présence du sympathique Phil X, les guitares se contentent de faire de la figuration. "Legendary", avec ses chœurs entraînants et sa rythmique énergique, est un feu follet, étincelle au charme éphémère qui s'étiole une fois les tenants et aboutissants du morceau aux rouages identiques aux titres du même acabit proposés par le groupe depuis une dizaine d'années. Il faut attendre "Living Proof" pour entendre un semblant de rock. Et ce morceau s'impose rapidement comme le meilleur de l'album. Titre énergique agrémenté d'une talk-box (que l'on avait pas entendue depuis le morceau "This Is Love, This Is Life" en 2010. BON JOVI essaie ici d'émuler "It's My Life" ou "Bounce" et si les lignes de guitare de Phil X font pâle figure si on les compare à Sambora, le morceau fonctionne et constitue une belle preuve de vie, que vient confirmer "Waves", titre country-rock intense doté d'un formidable refrain. BON JOVI nous offre ici une leçon de savoir-faire avec cette doublette qui reste malgré tout une oasis au milieu d'un désert aride.

Car il faut se forcer ou faire preuve d'une belle mauvaise foi pour prétendre que "Kiss the Bride", chanson écrite par Jon pour sa fille Stephanie, est plus qu'une inoffensive bleuette. Doté d'une section à cordes frottées, ce titre sera sans doute joué sur les pistes de danse cet été par des papas fiers de marier la chair de leur chair. "The People's House", dont la ligne de basse sautillante est un hommage très, très appuyé à celle de "Keep The Faith" est un nouveau mélange sans grande vertu entre piano et guitare sous-mixée, à peine sauvé par un refrain sympathique. Malgré l'apport des indéboulonnables John Shanks et Billy Falcon, et la participation à l'écriture de personnalités telles qu'Ed Sheeran ou Jason Isbell (OneRepublic), Forever a des faux airs de mauvais album de Bruce SPRINGSTEEN, à qui l'introspectif "Hollow Man" qui clôture l'album fait penser. Un peu plus audacieux, doté d'intéressants changements de rythme, "My First Guitar" est en plus doté d'une sympathique histoire, puisque ce morceau a été composé par Jon sur sa guitare d'adolescent, qui a réussi à racheter à la personne à qui il l'avait vendue 45 ans plus tôt. Voici qui apporte un peu de vie en fin d'album.

BON JOVI ne nous surprend pas vraiment, mais continue de nous décevoir avec cette musique qui n'a de rock que le nom. Si l'exécution reste appréciable, l'expérience permettant au groupe de savoir comment construire quelques morceaux percutants, le fond souffre d'un évident manque de substance. Et les thèmes développés depuis quelques années (la nostalgie, la rédemption, l'incertitude quant à l'avenir) ne suffisent pas à renouveler notre intérêt pour un groupe qui semble ici essoufflé et loin de son niveau d'antan. Espérons que, la confiance retrouvée suite à ses opérations, Jon Bon Jovi aura le courage de se remettre en question, ne serait-ce que pour redonner à la guitare une place de choix au sein de son groupe, dont la musique souffre de son musèlement. L'espoir fait vivre.