En ce début des années 80, Michael GIRA vit à New York dans un immeuble insalubre et inquiétant, ce cadre continuant de nourrir une vision musicale prenant petit à petit sa forme définitive.

En effet, malgré l’aventure CIRCUS MORT venant de se terminer abruptement, le jeune homme ne se laissant pas abattre souhaite immédiatement monter un nouveau projet dont il serait le maître à penser. Symbole d’une ambivalence palpable désirée, le collectif se nommerait SWANS, du nom de ces volatiles à la beauté immaculée mais au caractère totalement instable.

Le batteur Jonathan Kane serait l’unique survivant de l’époque CIRCUS MORT. Car bien vite, la stabilisation d’un effectif devient un défi au regard du caractère intransigeant de GIRA. Seul compte le talent des protagonistes sélectionnés, l’aspect humain ne l’intéresse pas. Parmi les nombreux musiciens à se succéder au sein des SWANS, on compte ainsi Thurston Moore occupant un temps le poste de second bassiste. Les routes de GIRA et de Kim GORDON se croisent donc à nouveau près d’une décennie après une première rencontre dans les années 70 qui fascina le jeune Michael. GORDON est à présent entièrement immergée au sein de la scène musicale, ayant rejoint SONIC YOUTH à la basse quand Moore y tient la guitare, le couple se partageant le chant.

Les deux groupes décident d’unir leurs forces, partageant un positionnement identique à la marge d’une scène new-yorkaise rapidement envahie de poseurs ayant flairé la bonne affaire. Dès 1982, SONIC YOUTH commence à répéter chez GIRA, surnommant son appartement glauque le Bunker et contribuant au boucan de tous les diables s’échappant de ses fenêtres, secousses sismiques secouant tout un quartier et tétanisant les voisins. S’ensuit une tournée commune chiche (six dates) mais décisive pour deux formations marginales dans leur propre royaume.

C’est aussi en 1982 que sort le premier E.P des SWANS. Ici, on a clairement affaire à autre chose, bien plus claustrophobe et nécrosé que l’objet réalisé sous la bannière CIRCUS MORT. GIRA cumule maintenant basse et chant et un saxophoniste apparaît, dispensant des fragments fantomatiques de notes similaires à ceux traversant le CERTAIN RATIO auroral et renforçant ainsi la coloration no wave de cet enregistrement.

"Speak" sonne l’alarme dans la lande avec son riff tranchant, les vandales arrivant par les montagnes à dos de mammouth. La basse est énorme et les mots vindicatifs répétés ad nauseam, matérialisant une volonté de musicaliser puissance et répétition afin de mettre l’auditeur mal à l’aise, reproduisant fidèlement ce qu’il se passe en concert. C’est encore plus vrai de "Laugh", chanson physique manifestant une réelle envie d’en découdre parmi les machines peuplant l’usine de plastique où GIRA travailla un temps. "Sensitive Skin" poursuit la visite de cette industrie douteuse à un rythme cependant moins soumis aux ruptures et gagnant en régularité. Un titre sentant le soufre à plein nez et saluant amicalement les amis SONIC YOUTH et le pape des guitares abstraites Glenn Branca, déjà convoqué auparavant sur certaines zones vaguement concrètes.

Un premier E.P déconcertant, aimable comme une porte de prison, pas encore infréquentable comme pourra l’être Filth, dansant par instants ("Take Advantage" et son emprunt lyrique à William S. Burroughs), toutefois en se gardant bien de conserver une distance de sécurité confortable. Cet E.P a été réédité en 2015 au format vinyle et peut être retrouvé également sur les éditions Deluxe de Filth.

Dans une version alternative de la Guerre des Gaules, César raconte qu’il passa ce disque sur sa platine de marbre seulement quelques instants avant la bataille de Zela. Une fois sa besogne achevée, il cueillit la dernière fleur d’un sol ravagé et demanda à son second si la tournée de ce groupe qui l’avait tant marqué inclurait quelque ville comptant parmi ses conquêtes.