Assez étrangement je dirais, je ne garde pas un souvenir impérissable de ma vision sur scène des SWANS.

Cela s’est déroulé début novembre 2016 au Paloma de Nîmes, belle salle moderne légèrement en dehors de la ville, non loin de l’aérodrome. Je me souviens d’une messe organique, supersonique au point qu’il faille aux organisateurs proposer obligatoirement des bouchons à l’entrée afin de ne pas rendre l’audience totalement sourde – ayant une vision claire sur le compteur de décibels, je pus en témoigner factuellement. Les morceaux furent longs et le concert généreux mais l’immersion compliquée, peut-être à cause de mes propres envies de répertoire qui ne correspondirent pas ou noyées dans des improvisations que je ne reconnus pas.

Le gourou Michael GIRA se montra fidèle au caractère qu’on lui connaît, intransigeant, n’hésitant pas à entrer dans une colère noire lorsque quelque chose le dérangeait, le manifestant concrètement via des gestes en direction des ingés son voire à terminer prématurément une chanson. Toutefois si on omet le son, digne des débuts dangereusement assourdissants, l’Américain ne s’adonna pas à la confrontation directe avec le public même s’il me semble l’avoir vu regarder de travers les personnes qui pratiquaient le headbanging, peut-être avait-il coupé la ventilation comme cela se passait parfois à l’amorce des années 80, me rappelant d’une certaine chaleur prégnante et envahissante.

Pratiquement dix ans plus tard, j’en garde encore une légère frustration n’étant pas non plus insupportable puisque GIRA et consorts ont continué à produire de la musique et à la défendre via des spectacles où l’intensité demeure, point d’honneur que le chanteur veut coûte que coûte respecter depuis le retour de sa créature à plumes. Mais je n’ai pas retrouvé ce que j’ai pu entendre sur les enregistrements live publiés avant ou après 2016, cette quête d’absolu en marche ne sachant jamais vers où elle va aboutir si elle y parvient, investissant des rives vierges de toute visite ou oubliées de la plupart, un inconnu qui terrifie en même temps qu’il attire irrémédiablement.

Le meilleur exemple de ceci constitue indéniablement Swans Are Dead, double-album live sorti en 1998 et posthume comme son intitulé le laisse présager, compilant le meilleur de divers concerts européens et américains donnés entre 1995 et 1997. GIRA fut particulièrement satisfait de cet ultime enregistrement avant la dissolution du collectif, conforme selon lui à l’engagement physique hors normes dont ses compagnons et lui faisaient preuve lors de leurs performances.

Le répertoire se propose donc de dresser un panorama complet à l’instant T des travaux élaborés par les SWANS et ses divers projets solos ou liés (SKIN, ANGELS OF LIGHT). Soundtracks for the Blind est abondamment représenté via ses intenses pièces longue-durée ("The Sound" et l’immortel "Helpless Child") ou d’autres aux intitulés et partitions variant quelque peu comme l’indomptable "I See Them All Lined Up". "Feel Happiness" s’avère totalement inédit, ses vagues insubmersibles emportant tout sur leur passage y compris cette supposée résilience que supposent les maigres paroles, quand s’offrent également des versions totalement transcendées de chansons cependant loin d’être inoubliables. C’est particulièrement vrai pour "Blood Promise", anonyme titre au cœur de The Great Annihilator, prenant pourtant ici une dimension inédite, son irrésistible montée agrémentée des gémissements de GIRA explosant finalement en une transe incommensurable et un "I Crawled" ressuscité, piège claustrophobe duquel JARBOE tente de s’extraire en multipliant les cris à l’aide rauques réellement inquiétants. Une chanteuse qui montrait l’importance vocale croissante qu’elle avait pris au sein du groupe en imposant sa voix sur un nombre de titres substantiel. Elle interprétait ainsi quasi-seule "Blood on Yr Hands", le tribal "M/F" puis le plus apaisé "Lavender", extrait de son album solo Sacrificial Cake.

Swans Are Dead ou l’instantané parfait d’un groupe inclassable pouvant passer du rire aux larmes ou du bruit au silence en une fraction de seconde. Une imprévisible bestiole se mettant en sommeil mais seulement pour un temps. Car ne vous y trompez pas, si vous tentez d’y toucher, le cygne saura vous indiquer aisément qu’il n’est en aucune façon mort.