Auteur, compositeur, interprète, poète et acteur, l’intense carrière de Jacques BREL a laissé son empreinte dans le monde de la musique. S’il écrit depuis bien des années, en s’installant à Paris, timide et maladroit, il peine à trouver sa place. En 1955, son premier album sort sans atteindre le succès qu’il mérite. Il faut attendre 1956 pour que le chef-d’œuvre fondateur de BREL "Quand on n’a que l’amour" sorte en super 45-tours et le propulse sur le devant de la scène. Cette même année, il rencontre le pianiste François Rauber qui l’accompagnera tout au long de sa carrière en tant qu’orchestrateur. L’année suivante, l’album Quand on n’a que l’amour paraît accompagné des orchestres d’André POPP et de Michel LEGRAND. Il remporte le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros en 1957.

L’album d’un titre s’ouvre donc en beauté sur "Quand on n’a que l’amour", véritable hymne d’amour et d’humanité. BREL chante l’amour comme seule richesse de ce bas monde. La mélodie bien que simple ajoutée à la profondeur de l’arrangement orchestral soutient l’intensité des paroles, créant un moment intemporel d’émotion pure. Les cordes apportent la fluidité et la légèreté avec l’esthétisme de la chanson populaire française quand les cuivres, eux, soulignent le côté dramatique et profond des refrains qui s’accroît dans un crescendo émotionnel. La puissance vocale et la prestance scénique de BREL ajoutées à l’orchestre subliment l’intensité du message d’amour et traverse les époques.

Les orchestrations en son début de carrière sont sobres et élégantes, bien que profondes, tant elles soutiennent et mettent en valeur le texte et la voix chargée de BREL. C’est sa poésie qui occupe le devant de la scène. Il s’en sert notamment pour aborder des critiques sociales. "Qu’avons-nous fait, bonnes gens ?", par exemple, est un appel à une prise de conscience collective. Il questionne le conformisme moral qui empêche les gens d’agir et le tout est chanté, sur une musique enjouée, de manière ironique. Cette ironie est aussi de mise dans "L’air de la bêtise", chanson sur un air d’opéra, où il chante des attitudes conformistes et vides de sens ; la "bêtise" humaine en somme. Ce sujet est repris dans la chanson "Heureux", bonheur conventionnel mais illusoire. Et il réitère dans l’humour en parlant des relations humaines avec "La bourrée du célibataire", référence à la dance folklorique traditionnelle. Le thème tourne en rond telle une danse, bien que dynamique et rythmée.

Touchante par sa simplicité et sa sincérité, "Les pieds dans le ruisseau" est une balade où la ligne mélodique au piano, fluide, rappelle l’eau qui ruisselle. La contrebasse, elle, renforce une atmosphère douce et intime. Dans une ambiance plus élégante, "J’en appelle" est une belle pièce tout en esthétisme avec des instruments plus classiques.

L’influence jazz des années 50 se fait ressentir dans quelques titres tels que "Les blés", "Heureux" et "Pardons", notamment grâce au piano et aux cuivres mais aussi au phrasé presque parlé par moment qui rappelle le jazz vocal. "Pardons", d’ailleurs, est également une chanson qui a la force de toucher avec des paroles simples mais chantées de manière presque désespérées et avec un thème musical presque dramatique.

L’intemporalité de BREL réside notamment dans des textes qui touchent et paraissent toujours actuels une soixantaine d’année plus tard. Certains titres toutefois, "Les blés", "Saint Pierre", se révèlent un peu désuets dans leurs paroles.

Quand on n’a que l’amour marque un tournant dans la carrière de BREL, authentique, lucide avec une force poétique qui se mêle à sa sublime capacité d’interprétation, le voilà révélé au public. Tous les morceaux ne sont pas retenus tant l’album titre est fort, mais, grâce à celui-ci, par ses textes et sa musicalité, pas mal cuivrée avec un piano bien présent, BREL s’ancre en qualité d’artiste qui traversera les frontières du temps et de la culture et deviendra une référence de la chanson française.

Note réelle : 3,5